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LA THÉORIE DES MARÉES ET L’ASTROLOGIE

« Je t’expliquerai, dit-il, à Memmius[1] par quelle force la nature gouverne et infléchit la course du Soleil et les mouvements de la Lune, afin que nous n’allions pas croire qu’une libre spontanéité leur fait décrire, entre terre et ciel, des cours éternels, et qu’ils condescendent à faire croître les végétaux et les animaux ; afin que nous n’allions pas, non plus, supposer que quelque raison divine les fait tourner.

» Ceux-là même, en effet, qui connaissent l’éternelle indifférence des dieux, à force de rechercher la raison par laquelle tout est dirigé, particulièrement dans ces corps qu’ils contemplent au-dessus de leur tête dans les espaces éthérés, ceux-là, dis-je, retombent dans les antiques religions ; ils se donnent des maîtres rigoureux, que les malheureux croient tout-puissants, car ils ignorent ce qui peut être et ce qui est impossible. »

Contre le poème de Lucrèce, le poème de Manilius prend en main la cause de la Physique stoïcienne, si propre à justifier la divination astrologique.

Dès le début de son poème, Manilius veut[2] « que les nations comprennent combien il est grand, ce Dieu qui a disposé la face du Monde, et le Ciel placé au-dessus du Monde, au long des temps qui leur sont propres, afin qu’on les puisse connaître par leurs mouvements ; ce Dieu qui, à la Nature, a donné les forces dont elle dispose ».

À ne lire que ces vers, on pourrait penser que le Dieu de notre auteur est quelque Démiurge, extérieur et supérieur au Monde qu’il organise. Ce serait, alors, par suite de l’œuvre de ce Démiurge « que les astres[3] exerceraient leur domination selon des lois tacites, que le Monde entier serait mû par une éternelle Raison, que les alternatives des destinées verraient leur cours réglé par des signes certains ».

Notre erreur serait de courte durée. Bientôt, Manilius nous apprendrait que le Dieu qui impose au Monde un ordre immuable n’est pas un Démiurge extérieur au Monde, mais une Volonté, une Raison, un Esprit répandu dans le Monde même.

« Je chanterai, nous dirait-il[4], la Nature qui tient sa puissance d’une Intelligence tacite, le Dieu infus dans le ciel, dans la terre, dans la mer,


Infusumque Deum cælo terrisque fretoque,

  1. T. Lucretii Cari Op. laud., lib. V, vers. 77-90.
  2. M. Manilli Op. laud., lib, I, vers. 36-39 ; éd. cit., p. 3.
  3. M. Manilli Op. laud., lib, I, vers. 62-64 ; éd. cit., p. 2.
  4. M. Manilli Op. laud., lib, I, vers. 60-70 ; éd. cit., p. 32.