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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

d’Alexandrie attribue aux Chaldéens qui l’ont précédé, nous pouvons citer au moins un auteur qui l’a ouvertement professée et magnifiquement exprimée. Cet auteur, c’est Marcus Manilius.

De cet auteur, nous ne savons rien, sinon que le poème en cinq livres où, sous le titre d’Astronomicon, il expose les lois de l’Astrologie, dut être écrit peu de temps après l’an 10 de J.-C. où les Germains écrasèrent les légions de Varus ; à ce désastre, en effet, il consacre ces vers[1] :


Cum fera ductorem rapuit Germania Varrum
Infecitque trium legionum sanguine campos.


C’est, d’ailleurs, le dernier événement de l’Histoire romaine auquel il fasse allusion.

On comprendrait mal certains passages du poème de Manilius si l’on oubliait quelle lutte ardente mettait aux prises Stoïciens et Épicuriens.

Les Stoïciens voulaient que toutes les parties du Monde fussent unies entre elles par une harmonieuse sympathie, effet d’une loi fixe et raisonnable qui constituait le Destin. C’est en vertu de cette loi immuable que les changements d’ici-bas étaient liés aux mouvements des astres et pouvaient être prévus par l’observation de ces mouvements.

Dans ce Monde où les Stoïciens admiraient l’ordre et l’harmonie assurés par une loi, les Épicuriens ne voulaient voir que désordre et perpétuel conflit engendrés par le Hasard. Ils niaient donc qu’il y eût une relation constante entre les mouvements des astres et les changements de la sphère sublunaire : ils tournaient en dérision les prédictions de l’Astrologie.

Des défis que l’Épicuréisme se plaisait à lancer au Stoïcisme, Lucrèce s’était fait le héraut. À la sympathie que les philosophes du Portique découvraient entre les diverses parties de l’Univers. il se plaisait à opposer[2] « cette guerre impie qui excite les membres immenses du Monde à se combattre violemment les uns les autres,

… tantopere inter se cum maxima mundi
Pugnent membra, pio nequaquam concita bello. »


  1. M. Manili Astronomicum libri quinque. Josephus Scaliger, Iul. Cœs. F. recensuit, ac pristino ordini suo restituit. Eiusdem Ios. Scaligeri, Commentarius in eosdem libros, et Castigationum explicationes. Lectiones variœ e ms. Bibliothecœ Palatinœ, et aliis, cum Notis F. Iuni Biturgis. In officina Sanctandreana MDLXXXX. Lib. I, vers. 891-892, p. 29.
  2. Titi Lucretii Cari De reram natura lib. V, vers. 381-382.