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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

avons désiré la réalisation. Dans le présent, donc, on ne peut plus dire que l’événement est contingent, mais qu’il est en notre pouvoir (ἐφ’ ἡμῖν). « Ce qui est en notre pouvoir, c’est celle des deux parties du contingent qui advient maintenant conformément à notre désir. — Τὸ ἐφ’ ἡμῖν, θάτερον μέρος τοῦ ἐνδεχομένου τὸν ϰατὰ τὴν ἡμετέραν ὁρμὴν ἤδη γινόμενον. »

Lorsque nous forons notre choix entre les deux partis d’un événement qui était contingent jusque-là, il se pourra que notre choix se conforme aux prescriptions du Destin : mais il se pourra qu’il y contredise. Aux prévisions du Destin, donc, notre libre arbitre pourra opposer des démentis. Il arrivera, par là, que la loi du Destin sera suivie en général[1], obéie dans la plupart des circonstances ; mais qu’elle se trouvera, cependant, enfreinte dans certains cas singuliers.

C’est du traité De l’interprétation que Plutarque s’était inspiré pour définir la contingence ; c’est la Physique qu’il résume lorsqu’il parle de la fortune et du hasard[2]. Le rapprochement de ces deux théories, qu’Aristote avait exposées en des lieux différents, permet au philosophe de Chéronée de marquer, mieux que le Stagirite ne l’avait fait, que la notion de cas fortuit suppose la notion de contingence. « Nous avons dit, écrit-il, que, l’effet de la fortune porte le même nom qu’elle et qu’il présuppose l’existence de choses en notre pouvoir. — Τὸ μὲν ἀπ’ αὐτοῦ παρωνύμως ϰαὶ τοῦ ἐφ’ ἡμῖν προϋποϰεῖσθαι ἐλέχθη. »

Le peu qu’Aristote avait laissé échapper, qui fût favorable au libre arbitre, s’est trouvé ainsi, par les soins de Plutarque, dressé contre le fatalisme astrologique que le même Aristote avait si clairement formulé et si fortement appuyé de toute sa philosophie.

Alexandre d’Aphrodisias est, comme Plutarque, un adversaire résolu du fatalisme stoïcien.

Dans l’article suivant, nous l’entendrons décrire le déterminisme rigoureux que professaient certains disciples de Chrysippe. À ce déterminisme, il refusera de souscrire. Il consacre, en effet, un dialogue[3] à démontrer que ce déterminisme supprime entièrement la contingence ; et à l’existence de la contingence, il ne veut pas renoncer.

  1. Plutarchi Op. laud., cap. IV ; éd. cit. t. I, p. 688.
  2. Plutarchi Op. laud., cap. VII ; éd. cit., t. I, pp. 690-691.
  3. Alexandri Aphrodisiensis lib. I, quæst. IV. (Alexandri Aphronisiensis Praeter commentaria scripta minora. Quaestiones. De fato. De mixtione. Edidit Ivo Bruns. Berolini, MDCCCLXXXXII, pp. 8-13.