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LA THÉORIE DES MARÉES ET L’ASTROLOGIE

Que je vous écrive, en ce moment, ces lignes, ou que vous fassiez ce que vous vous trouvez faire à présent, admettons que cela dépende[1] des corps célestes, considérés comme les causes de toutes choses ; alors, la même cause reviendra, identique à ce qu’elle était et opérant de la même manière, en sorte que, nous aussi, nous serons redevenus les mêmes et que nous referons les mêmes choses. Il en sera de même pour tous les hommes ; le retour des mêmes causes déterminera derechef la production des mêmes choses et l’accomplissement des mêmes œuvres ; l’ensemble de l’Univcrs se reproduira donc au bout d’une période totale, et semblablement au bout de chacune des périodes totales. Évidemment le Destin, comme nous l’avions dit, bien qu’infini d’une certaine manière, n’est pas infini [en réalité], et l’on voit clairement qu’il est, pour ainsi dire, un cercle. »

Ce fatalisme astrologique, dont il nous a donné une définition si exacte, Plutarque ne veut pas qu’il ait empire sur tous les événements de ce monde. Aux fatalistes, il accorde cette proposition[2] : Il est évident que le Fatum (Εἱμαρμένη) embrasse tout. Mais il refuse de souscrire à cette seconde affirmation : Tout, arrive fatalement, Πάντα ϰαθ' Εἱμαρμένη.

La loi du Destin, en effet, il l’assimile à une loi humaine ; cette loi peut prévoir et embrasser tous les cas dans ses prescriptions ; il n’en résulte pas que, dans tous les cas, nos actes seront conformes à ces prescriptions ; nous pouvons désobéir à la loi. Plutarque admet que nous pouvons, de même, transgresser les decrets du Destin.

Si cette supposition lui est permise, c’est qu’à côté de la nécessité, il veut qu’il y ait, dans la nature, place pour la contingence.

Ce qu’il dit de la contingence s’inspire visiblement de ce qu’Aristote en avait écrit au traité De l’interprétation. La pensée du Stagirite, il la résume en cette formule1[3] : « Le nécessaire, c’est un possible dont le contradictoire est impossible ; le contingent, c’est un possible dont le contradictoire est possible. — Τὸ μὲν ἀναγϰαῖον, δυνατὸν τὸ ἀντιϰείμεινον ἀδύνατῳ· τὸ δ’ ἐνδεχόμενον, δυνατὸν οὖ ϰαὶ τὸ ἀντιϰαίμενον δυνατόν. »

Cette notion de contingence ne s’applique, d’ailleurs, qu’aux événements futurs ; dans le présent, l’une des deux alternatives s’accomplit et l’autre non ; mais celle-là s’accomplit dont nous

  1. Le texte que nous avons consulté porte : οὐ συμϐαίνει doit évidemment être supprimé.
  2. Plutarchi Op. laud., cap. VI ; éd. cit., t, I, p. 689.
  3. Plutarchi Op. laud., cap. VI ; éd. cit., t. I, p. 690.