Page:Duhem - Le Système du Monde, tome II.djvu/226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
220
LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

en même temps qu’ils pénètrent le comment des modifications que ces choses éprouvent. »

Ainsi les Frères de la Pureté et de la Sincérité voient, dans le mouvement lent des étoiles fixes et des apogées des astres errants, une cause qui doit faire alterner, sur la terre, les continents et les mers, les contrées habitées et les régions inhabitables. À cette théorie, ils attachent le plus grand prix ; ils se plaisent à y faire mainte allusion.

Les physiciens arabes ne partageaient pas tous leur confiance en cette doctrine ; au prochain article, nous la verrons rejetée, après minutieuse discussion, par ce traité De elementis que le Moyen Âge attribuait à Aristote, mais qui est, de la manière la plus certaine, l’écrit d’un arabe soumis à l’influence de la Science indienne.

Le traité De elementis, comme autrefois Aristote, repousse la théorie selon laquelle les continents et les océans se transforment les uns dans les autres par un continuel échange dont une révolution céleste marque la période. Mais au xiie siècle, nous trouvons un astronome arabe qui, comme les Frères de la Pureté, admet la réalité de ces vicissitudes et les place sous la dépendance du lent mouvement propre de la sphère des étoiles fixes ; cet astronome est Al Bitrogi, Nous avons entendu, en effet, au chapitre précédent, Al Bitrogi invoquer ces vicissitudes[1] comme une preuve du mouvement propre de la huitième sphère : « La diversité des situations de cet orbe est encore prouvée par ce qu’on observe en ce monde inférieur au sujet des grands changements et des permutations de certaines choses particulières ; telles sont les permutations qui se produisent entre les terres habitables et les terres non habitables, entre les régions tempérées et les régions non tempérées ; il arrive parfois que l’air se purifie en certains lieux qui deviennent alors habitables, tandis qu’en d’autres lieux, l’air se corrompt, et ces lieux deviennent inhabitables ; de même, les eaux de la mer changent de place ; elles s’accumulent en certaines régions, tandis qu’en d’autres régions, on voit apparaître des contrées qui, jusqu’alors, avaient été couvertes par les eaux. Les choses de ce genre qui se montrent à nous, et d’autres analogues, nous témoignent que ces opérations sont produites par le changement de situation de l’orbe des étoiles ; assurément, elles ne proviennent pas du mouvement de quelque orbite planétaire, car elles seraient alors périodiques comme ce mouvement et se

  1. Alpetragii Aiubi Planetarum theorica, folk. 7, verso, et 8. recto. Vide supra, pp. 155-156.