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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

À l’époque où Bode formula cette loi, entre Mars et Jupiter, dont les distances au Soleil sont représentées par les nombres 16 et 52, il y avait une lacune, bientôt comblée par la découverte de quatre petites planètes, Cérès, Pallas, Junon, Vesta : elles étaient situées à peu près à une même distance du Soleil, distance représentée sensiblement par le nombre 28. Cette découverte sembla, à beaucoup d’astronomes, une éclatante confirmation de la loi de Bode.

Ou regarda cette loi comme confirmée une seconde fois lorsqu’en 1816, les calculs de Le Verrier annoncèrent l’existence de la planète Neptune, existence que Galle constata ; la distance au Soleil de la nouvelle planète ne différait pas trop de celle qu’eût représenté le nombre 388. terme suivant de la série de Bode.

La séduction que la loi de Bode a longtemps exercée sur l’esprit de certains astronomes marque la persistance, en plein xixe siècle, des tendances qui sollicitaient déjà les Pythagoriciens.

Cette persistance se reconnaît encore mieux lorsqu’on parcourt l’histoire de la Chimie moderne.

Et d’abord, la loi des proportions multiples, support de toute la notation chimique, de toutes les théories de la Chimie, semble bien ne pas s’être présentée, en premier lieu, à l’esprit de Dalton avec l’interprétation atomique qu’il lui a donnée plus tard : le désir tout pythagoricien de découvrir des rapports numériques simples paraît être le sentiment qui lui a fait deviner sa grande découverte.

Mais cette tendance qui porte beaucoup d’hommes à chercher des relations simples entre des nombres que l’observation leur fournit, elle se marque, particulièrement intense, dans les essais auxquels ont donné lieu les poids atomiques des divers éléments. Plusieurs chimistes n’ont pu se résigner à croire que ces poids dussent être purement et simplement acceptés tels que l’analyse nous les fait connaître, et sans qu’il y eût lieu de les relier entre eux par une loi simple. Ils se sont efforcés de découvrir quelque combinaison arithmétique qui put reproduire ces nombres suivant un ordre régulier, et tel que cet ordre révélât les analogies chimiques des divers éléments. Tout le monde connaît les premières tentatives faites par J.-B. Dumas pour atteindre ce but. Tout le monde connaît également la classification des éléments que, plus près de nous, Mendelejeff a établie sur de telles combinaisons numériques. Lorsque Lecoq de Boisbaudran, en découvrant le gallium, vint combler une des lacunes qui interrompaient la série de Mendelejeif, on célébra cette confirmation comme on