Page:Duhem - Le Système du Monde, tome II.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
132
LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

En troisième lieu, « c’est un des principes posés par Aristote, dans la Science physique, qu’il faut nécessairement quelque chose de fixe autour de quoi se fasse le mouvement ; et c’est la raison pour laquelle il faut que la terre reste fixe ; mais si l’épicycle existait, on aurait là un mouvement circulaire accompli autour d’un centre où ne serait aucun corps fixe ».

À cet exposé de la doctrine d’Ibn Bâdja, Maïmonide ajoute les réflexions que voici :

« J’ai entendu dire qu’Abou Bekr disait avoir trouvé un système astronomique dans lequel il n’y avait pas d’épicycle, mais uniquement des sphères excentriques ; cependant, je ne tiens pas cela de ses disciples. Mais, quand même il y aurait réussi, il n’aurait pas gagné grand’chose, car, dans l’hypothèse de l’excentrique, on s’écarte également des principes posés par Aristote et auxquels on ne peut rien ajouter. Et ceci est une observation qui m’appartient. »

En dépit de l’assurance de Maïmonide, il est permis de révoquer en doute l’originalité de cette remarque ; mais il est impossible d’en contester l’exactitude. Les critiques d’Ibn Bâdja devaient forcément conduire ceux qui les avaient recueillies à rejeter l’hypothèse des excentriques aussi bien que l’hypothèse des épicycles ; c’est ce que fit Abou Bekr ben al Tofaïl (?-1185).

Qu’Ibn Tofaïl se soit occupé d’Astronomie, qu’il ait professé, dans cette science, des doctrines opposées à celles de Ptolémée, nous le savons par le témoignage d’Averroès, qui fut son protégé et son familier. « Dans son Commentaire moyen (inédit) sur la Métaphysique (livre XII), Averroès, en attaquant les hypothèses de Ptolémée relatives aux excentriques et aux épicycles, dit que Tofaïl possédait sur cette matière d’excellentes théories dont on pourrait tirer grand profit »[1].

L’astronome Al Bitrogi, dont nous étudierons bientôt la Théorie des planètes, y parle[2] d’Ibn Tofaïl dans les mêmes temp qu’Averroès : « Tu sais déjà, mon frère, que l’excellent juge Avobacher Aventafel (l’émir Abou Bekr ben Tofaïl) nous disait qu’il avait trouvé une théorie nouvelle des planètes ; qu’il déduisait leurs mouvements de principes autres que ceux de Ptolémée ; qu’il rejetait, enfin, tout excentrique et tout épicycle ; avec ce système, disait-il, tous les mouvements célestes sont vérifiés et il n’en résulte rien de faux. Il avait aussi promis d’écrire là-dessus… »

  1. S. Munk, art. Tofaïl du Dictionnaire des Sciences philosophiques par une Société de professeurs et de savants, t. VI, Paris, 1852, p. 907.
  2. Alpetragii Arabi Planetarum theorica, fol. 4, recto (Pour la description de cet ouvrage, vide infra, § VI).