Page:Duhem - Le Système du Monde, tome II.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
107
PHYSICIENS ET ASTRONOMES. — I. LES HELLÈNES

à cause de l’instabilité de la matière qui les forme, de prendre ce qui se produit dans la plupart des cas. Lorsque, d’autre part, nous voulons connaître les choses célestes, nous usons du sentiment, et nous faisons appel à une foule d’artifices fort éloignés de toute vraisemblance. Par suite, au sujet de chacune de ces choses, il faut nous contenter d’à-peu-près (τὸ ἐγγύς), nous qui sommes logés, comme on dit, au plus bas fond de l’Univers. Qu’il en soit ainsi, cela est rendu manifeste par les découvertes qu’on fait au sujet de ces choses célestes ; car d’hypothèses différentes, on tire les mêmes conclusions relatives aux mêmes objets ; parmi ces hypothèses, il en est qui sauvent les phénomènes au moyen des épicycles, d’autres au moyen des excentriques, d’autres encore au moyen des sphères dénuées d’astres et tournant à contre sens[1]

» Les dieux, certainement, ont un plus sûr jugement ; mais pour nous, il faut nous contenter d’atteindre seulement l’à-peu-près de ces choses ; car nous sommes des hommes, en sorte que nous parlons seulement selon la vraisemblance et que les discours que nous tenons ressemblent à des fables. »

L’Astronomie, donc, ne saisit point l’essence des choses célestes ; elle n’en donne qu’une image ; cette image même n’est point exacte, mais seulement approchée ; elle se contente d’à-peu-près. Les artifices géométriques qui nous servent d’hypothèses pour sauver les mouvements apparents des astres ne sont ni vrais ni vraisemblables ; ce sont de pures fictions qu’on ne saurait réaliser sans formuler des absurdités. Combinés dans l’unique but de fournir des conclusions conformes aux observations, ils ne sont point déterminés sans ambiguïté ; des hypothèses fort différentes peuvent conduire à des conséquences identiques qui sauvent également les apparences. D’ailleurs, ces caractères de l’Astronomie ne doivent pas étonner : ils marquent simplement que la connaissance de l’homme est bornée et relative, que la science humaine ne saurait rivaliser avec la science divine. Telle est la doctrine de Proclus.

Elle est bien loin, certes, de l’ambitieuse Physique qui, au Περὶ Οὐρανοῦ et dans la Métaphysique, prétend spéculer sur l’essence des choses célestes, si profondément qu’elle parvienne à fixer les principes essentiels de l’Astronomie.

  1. Il s’agit des ἀνελίττουσαι σφαῖραι considérées par Aristote.