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Sur un banc étaient rangés quinze ou vingt bonshommes qui avaient bien une douzaine de jambes à eux tous… C’est là que j’aperçus Derancourt. Il tenait ses béquilles d’une main, et regardait autour de lui, en lissant distraitement sa longue moustache blonde.

Derancourt devint mon ami.

Il avait une cuisse amputée qui n’achevait pas de se guérir ; il portait aussi une multitude d’autres blessures qui s’étaient à peu près cicatrisées pendant sa captivité.

Derancourt ne parlait jamais de lui-même, et encore moins de son infortune. Par ses camarades, je sus qu’il avait combattu sous Longwy, sa ville natale, et que, grièvement blessé, il était demeuré neuf jours sur le champ de bataille. Il avait vu périr à ses côtés son père, venu pour lui porter secours, puis, en compagnie du cadavre, il était demeuré couché, tourmenté par un rêve délirant où neuf jours et neuf nuits s’étaient succédé, comme un vertige tissu de ténèbres et d’éblouissements. Les matins, il avait sucé l’herbe humide qu’il pouvait saisir en étendant les mains…

Par la suite, il avait souffert en Allemagne, et,