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« le sens des formes a passé des doigts dans l’œil ». Cette « acquisition » fut transmise par l’hérédité. Il ne fallut pas un long temps pour que l’homme, insoucieux encore de cette psycho-physiologie, tint pour naturel et simple ce qui était, en réalité, artificiel et double. Récoltant les fruits, il ne s’enquit pas si l’arbre qui les portait avait été greffé. — « De là cette illusion enfantine de la traduction de la réalité vivante et sans plans par le dessin-contour et de la perspective dessinée ».

Outre l’hérédité, l’art a, des siècles durant, entretenu cette illusion. Les tableaux consacrés par l’admiration, « canons » imposés par l’enseignement officiel (ils se ressemblent tous à distance, mais n’oublions pas que beaucoup furent, à leur heure, des révoltes), n’ont point seulement pour « dessous » un dessin exact, conforme à l’anatomie et aux théorèmes de la géométrie descriptive, les taches lumineuses, dont l’ensemble en constitue le « coloris », y sont limitées par des lignes, — loin qu’elles soient comme embuées par cette atmosphère propre, que chaque objet semble développer autour de soi. Le peintre n’est que l’auxiliaire du dessinateur. Son œuvre est, pour la caractériser au vrai, un dessin rehaussé de couleur. C’est surtout du dessin que, par influence, se préoccupe le critique, empêtré dans une discipline conservatrice. — Est-ce bien ou mal dessiné ? telle est la première question qu’il se pose. Ces personnages peuvent-ils servir de planches anatomiques ? Cette femme, avant que d’être peinte habillée, a-t-elle été dessinée nue ? — Peu de gens, quelques peintres exceptés, se demandent : Les couleurs sont-elles ainsi