Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/192

Cette page a été validée par deux contributeurs.

aux nues ; il s’étale dans tous les salons, sur la toilette des femmes à la mode, et tout le monde applaudit à ses furieuses déclamations contre la tyrannie des rois mise désormais sur la même ligne que la tyrannie des prêtres[1]. Cet énergumène apprend au peuple le langage qu’il parlera bientôt dans les clubs révolutionnaires ; mais déjà son immense succès en 1780 nous renseigne amplement sur l’état des esprits à cette date et sur la défaveur croissante de la royauté.

L’ouvrage de Raynal avait, d’ailleurs, un grand défaut : il était trop long, et le siècle, ce siècle étrange, qui devenait de plus en plus insouciant et frivole à mesure qu’il approchait du grand cataclysme qu’il prévoyait et attendait, commençait à se dégoûter des œuvres de longue haleine, et deux ans après le grand succès de Raynal, Mercier écrivait : « On ne lit presque plus à Paris un ouvrage qui a plus de deux volumes. Il faut être court et précis si l’on veut être lu aujourd’hui. » Courts et précis, et tranchants par-dessus le marché, c’est ce que vont être maintenant les auteurs de ces innombrables brochures qui ne cessèrent d’inonder la France jusqu’à la veille de 1789. C’est surtout de ces brochures, on le sait, que vont s’inspirer ceux qui rédigeront les cahiers des États-généraux et l’on voit ainsi par quels intermédiaires les philosophes se rattachent à la Révolution française[2]. Mais ce n’est là, pour ainsi dire,

  1. La première édition (anonyme) de l’Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les Indes, parut en 1770 ; mais l’ouvrage était rare et se vendait cher. En 1772, Voltaire lui-même ne l’avait pas lu. En 1774, parut une nouvelle édition, plus complète, mais toujours anonyme, et ce n’est qu’en 1780 que Raynal signa son ouvrage, encore augmenté et envenimé : le gouvernement, cette fois, intervint, et l’auteur, décrété de prise de corps, fut obligé de quitter la France.
  2. Sur l’importance et l’audace croissante de ces brochures, voir le livre de M. Rocquain : L’Esprit révolutionnaire avant la Révolution, p. 223. et l’introduction au Moniteur, de Thuau-Grandville : « Les écrits des philosophes, trop abstraits pour la plupart ou trop volumineux (comme l’Encyclopédie), pour être répandus dans la classe la plus nombreuse de la société, ne se trouvaient encore que dans les bibliothèques des hommes aisés ou instruits… ; il fallait que ceux-ci ne dé-