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tous les jours deux fois, sans avoir entendu parler de lui ; je le verrai pourtant ce matin. Le Belle-Isle me parait perdu, mais l’État l’est avec lui.

Je ne vous parlerai ni guerre ni politique, parce que cela vous ennuie et moi aussi. Vous saurez seulement que M. de Belle-Isle offre de servir sous M. de Broglie, comme un simple volontaire. Tout l’avantage est resté à ce dernier. C’est Montmartel qui a fait l’arrangement de Boulogne, s’il est vrai ; car ce n’est encore qu’un bruit, lequel peut avoir du fondement, et être encore changé. Je vais ce soir à Athis avec MM. de Maurepas et Pont de Veyle[1] ; je compte que j’aurai des nouvelles à vous mander.

Je viens à vous : je pense que s’il n’est rien survenu, vous aurez aujourd’hui commencé à prendre des eaux ; le temps ne fut jamais si favorable, car, s’il vous traite comme nous, vous devez étouffer. J’ai bien de l’impatience d’apprendre comment se tourne votre nouveau ménage ; je ne doute pas de l’envie que l’on aura de bien faire, et comme vous n’êtes pas si méchante que vous le croyez, vous y serez sûrement sensible.

Je reviens à Mertrud : je commençais à lui trouver quelque chose de funeste dans la physionomie, et je ne m’éloignais pas de croire à la métoposcopie.

L’Ode de Voltaire s’est multipliée à l’infini : tout le monde la trouve insensée ; les belles strophes, où l’on trouve même à gloser et où l’on croit entrevoir de l’épigramme sont noyées dans six ou sept, dont il y en a en effet d’inintelligibles. Madame de Mailly a trouvé très-ridicules les lettres de MM. de Luxembourg et de Boufflers, que l’on lui a lues, et il paraît que de ce côté-là la chance a totalement changé ; mais qu’est-ce que tout cela nous fait ?

Madame d’Évreux arrive dans le moment ; toutes les bêtes se portent bien et elle aussi : elle me remet une lettre de monsieur votre frère, que j’ai pris la liberté d’ouvrir, comptant que j’y trouverais des nouvelles, et bien sûr qu’il n’y a rien que vous ne m’eussiez montré ; je le plains de son état et de sa position, car, si ce que l’on dit est vrai, ils pourraient être attaqués.

Je ne vous mande rien de mes occupations : le chaud est si grand, que je ne sors de chez moi qu’à huit heures du soir.

  1. Antoine de Ferriol, comte de Pont de Veyle, fils aîné de madame de Ferriol, sœur de madame de Tencin, né a Paris le 1er octobre 1697, mort le 3 septembre 1774. (L.)