Page:Du Cange - Glossarium mediae, T9, 1887.djvu/438

Cette page n’a pas encore été corrigée

COMPTE-RENDU DU GLOSSAIRE DE DU CANGE. xxxv

qu’Ausone a été consul de la ville de Bordeaux, on 1 pourrait invoquer ce que dit Scaliger, qu’il a vu « Ve- « tus saxum in praedio amplissimi prsesidis Josephi « Cassiani effossum. Diu mecum egi an possem illius « inscriptionem in memoriam revocare, quia obiter, et « ut illud fit, aliud agens, illam legeram neque aliter « quicquam pensi habui. Tamen, nisi vehementer fallor, « videtur mihi ita habuisse Dec. Ausonius cos. olym- « piade lxxxiii. Si quid a me erratum est, erit fortasse « in ultimis numeris, nam utrum octogesimo m, aut nu « in ea inscriptione fuerit, non plane memini. Igitur « hoc monumento siguificatur consulatus municipalis, « non consulatus Romæ. »

Mais il ne me semble pas qu’on doive ajouter une grande foi à ce souvenir de Scaliger, dont aucun des savants qui ont publié des recueils d’inscriptions ne paraît avoir fait mention. Nous n’avons donc pour ce qui concerue le consulat d’Ausone à Bordeaux d’autre témoignage que les deux vers cités, et le sens en est obscur. S’il est vrai que quelques biographes, quelques commentateurs de ce poëte en aient conclu qu’il avait été revêtu de cette magistrature municipale, si telle est, notamment, l’opinion de Bonamy, dans le t. XVII, p. 19, des anciens Mémoires de l’Académie des Inscriptions, et de M. de Savigny, dans une note du § 2 du chapitre Il du t. Ier de son Histoire du Droit Romain au moyen âge, je dois convenir que les derniers mots du second vers laissent subsister quelque incertitude; il semble qu’Ausone s’y résume à dire qu’il doit la naissance à Bordeaux, et que c’est à Rome qu’il doit la dignité consulaire.

Mais quand il serait vrai que Du Cange se fût trompé sur cette circonstance de la vie d’Ausone, il ne s’ensuivrait pas que Valois ait été fondé dans le second point de sa critique, et que Du Cange ait eu tort de dire que le nom de consulat, donné dans la Gaule à une magistrature, était très-ancien, et en usage au temps d’Ausone. Il existait dans le midi de cette contrée des villes municipales administrées par un sénat et par des chefs connus sous différents noms. Bordeaux notamment avait un sénat Ausone l’atteste dans le troisième vers de son poëme : Insignis procerum senatu. Si cette ville avait un sénat, elle devait avoir des magistrats chargés de l’administration. Dans la plupart des villes municipales, ces magistrats étaient appelés duumviri mais il en était où on leur donnait des titres de magistratures romaines, édiles, questeurs, censeurs, préteurs, consuls, même dictateurs, et cela dans un temps où Rome, n’étant pas encore soumise à un empereur, devait être jalouse de ne point laisser les magistrats des villes de province s’attribuer les titres de ceux de la république. Un grand nombre d’inscriptions, qu’on trouve dans Gruter, pré- sentent des dénominations de consul données à des magistrats municipaux de diverses villes, dans les pro- vinces. On peut consulter à ce sujet Noris, Coenotaphia Pisana, dissert. I, cap. iii, et Éverard Otto, De Consulibus extra Italiam, cap. ii.

Je crois donc qu’au temps d’Ausone, et même plus anciennement, il y avait hors de l’Italie des villes muni-


cipales dont les premiers magistrats portaient le nom de consuls que le reproche fait à Du Cange par Valois n’est pas fondé, et que les Bénédictins y ont adhéré trop facilement. M. Henschel paraît n’être pas de leur senti- ment mais peut-être eût-il dû s’expliquer d’une manière plus formelle qu’il ne l’a fait en se contentant de ren- voyer à l’ouvrage de M. de Savigny, qui n’a pas discuté la question et s’est borné à énoncer, sur la foi des vers cités plus haut, que la magistrature municipale de Bor- deaux s’appelait consulat.

Valois a adressé à Du Cange un autre reproche plus général, par lequel je vais terminer.

« II a, dit-il, fait entrer dans son Glossaire plusieurs remarques sur diverses choses tant ecclésiastiques que autres, sur lesquelles il ne sera jamais consulté, d’autant qu’on n’attend pas d’un glossaire ni d’un grammairien ou critique l’éclaircissement de ces matières, sur quoi nous avons des volumes entiers écrits par des gens versés dans l’histoire- ecclésiastique. »

Cette censure prouve que Valois ne s’était pas fait une juste idée de l’entreprise de Du Cange, du besoin auquel ce savant avait cru qu’il importait de pourvoir, et de son plan, qui cependant était très-bien expliqué dans la préface.

Sans doute nos bibliothèques sont remplies de volumes écrits par des personnes très-habiles sur les matières ecclésiastiques et autres concernant le moyen âge, que les savants pourront et devront toujours consulter, et l’intention de Du Cange n’a pas été que son Glossaire en tînt lieu. Mais lorsque ces ouvrages fournissaient des mots de basse latinité, que, d’après son plan, Du Cange devait recueillir, et dont il devait aussi faire connaître l’usage, pouvait-il, à moins de courir le risque de n’offrir qu’une nomenclature aride et quasi inintelligible, se dispenser de donner quelques explications sur les institutions ecclésiastiques et civiles, sur les usages du moyen âge auxquels se rapportaient les passages qu’il citait ? C’était précisément ce que le public avait le plus besoin de connaître et de comprendre, ce qui, par le fait, a produit le grand succès du Glossaire et l’indispensable nécessité où l’on est sans cesse d’y recourir. Aussi l’expérience a-t-elle démenti la singulière prédiction de Valois, que cet ouvrage ne sera jamais consulté sur les matières ecclésiastiques et autres que Du Cange y a rassemblées. Peu d’années après qu’il eut paru, Mabillon et Bayle en proclamaient la très-grande utilité, précisément sous le rapport critiqué par Valois : Omnibus apertus, de omnibus agens, disait Mabillon.

Ce n’est pas de ce qu’il en contenait trop qu’on croyait avoir à se plaindre le succès de l’édition de 1733-36, et du supplément de 1766, nonobstant quelques défauts que je n’ai pas dissimulés, en est la preuve. Lorsque de nos jours une édition nouvelle a été réclamée avec empressement, personne ne demandait la suppression des choses que Valois reproche à Du Cange d’avoir admises tout le monde, au contraire, désirait qu’on les reproduisît, que le nombre en fût accru, complété et M. Henschel en répondant à ce vœu général a rendu un très-grand service à la science.