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xxxiv EXTRAIT DU JOURNAL DES SAVANTS.

Palatine. d’après les originaux, il est devenu certain que le texte porte in Jutraha, petite rivière du pagus Laudemburgensis, laquelle est indiquée sur la carte annexée à la page 41 de ce volume, comme tombant dans le Necker (1) [1]. De cette manière les documents s’expliquent sans peine. Le roi donne tout ce qui lui appartient dans le pagus in Jutraha, c’est-à-dire jusqu’à la rivière ou le long de la rivière Jutraha on sait qa« in se prend souvent pour ad dans la bonne latinité.

On voit par ces explications comment il a dû arriver que Du Cange ait recueilli quelques mots dont la découverte de textes plus exacts que ceux dont il avait fait usage a révélé l’erreur. Mais ces mots fussent-ils infiniment plus nombreux, il ne mériterait aucun reproche les erreurs de lecture ne sauraient lui être imputées, surtout pour les mots qu’il a trouvés dans des livres imprimés.

Je n’entends pas dire cependant que, même dans ce dernier cas, on ne doive pas user d’une certaine critique pour examiner si les éditeurs que l’on cite n’auraient pas lu inexactement; si le mot ne serait pas une simple faute d’impression dans les éditions dont on fait usage. En voici un exemple que fournit le Supplément de Carpentier, au mot Anis, que ce savant a recueilli sans essayer de l’expliquer. On lit dans Martène, Amplissima Collectio, tome VII, col. 24: « Si omnes secundum «  legem domini, sive nobiles, sive « mobiles uxores legi « time sortitas habent, non uxores ab aliis dimissas, « non Deo sacratas, non anes. » La véritable leçon est nonanes, mot qui, tantôt écrit par un n, tantôt par deux, dans les Capitulaires et dans d’autres documents, désignait des religieuses, que nos vieux écrivains français ont appelées nonains. Le sens raisonnable de la phrase conduisait à cette correction elle était justifiée par toutes les citations qu’on trouve dans le Glossaire aux mots Nonanes et Nonnanes aucun exemple fondé sur des textes, aucune analogie ne conduisait à croire, comme Carpentier le suppose, qu’il ait existé dans la basse latinité un mot anis, faisant à l’accusatif pluriel anes, et pouvant avoir un sens dans la phrase citée d’après Martène. Aussi M. Henschel n’a-t-il pas manqué de relever cette erreur.

Le mot castra a fourni à Valois l’occasion d’une critique dont je reconnais le fondement, sans en approuver la forme et le ton.

On donnait au moyen âge en Italie le nom de castra (subst. fém.) à une espèce de navire dont il est parlé dans l’histoire du siège de Jadra (Zara), et, sans le moindoute, Du Cange est dans le vrai lorsque, d’après le texte qu’il a transcrit, il interprète castra par navis italicœ species. Mais, par un surcroît d’érudition malheureusement employée, il cite le vers de l’Enéide :

« Dat clarum puppi signum, nos castra noovemus.  »

Rien ne prouve (et le contraire est même évident) qu’au temps de Virgile castra servît, comme liburna,


triremis, à désigner une espèce de navire. S’il en eût été ainsi, Virgile aurait dû dire castras, ce qui ne faisait pas son vers et n’exprimait point sa pensée.

Mais, de même qu’on avait appelé castra les lieux où une armée était campée, de même on disait castra navaha pour désigner les lieux où une flotte était en station (Caesar, De Bello Gallico, lib. V, cap. xxu). C’est ce qui explique le castra niovemus de Virgile, et n’a rien de commun avec castra, substantif féminin, désignant un navire du moyen âge.

Toutefois, Valois ne devait pas accuser Du Cange d’ignorance ; ce reproche ne saurait être adressé à un tel homme il pouvait lui reprocher un abus de science, une citation étrangère à son objet, mais c’est tout ce qui était permis.

Au surplus, les Bénédictins ont recueilli et traduit en latin toutes les observations de Valois, et par conséquent on les trouvera dans la nouvelle édition. Peut-être cependant ont-ils été trop dociles en accédant sans réserves à toutes ses critiques, dont quelques-unes pourraient être justement contestées. Je craindrais d’allonger trop cet article si je les discutais je me bornerai à un seul exemple, qui n’offre pas une simple question de mots et de lexicographie, mais qui se rattache à un point véritablement historique.

Du Cange, au mot Consul, n° 3, s’exprime ainsi « Consules in civitatibus, qui in aliis scabini vocantur, «  quorum dignitas antiqua, Il et, pour justifier cette assertion de l’ancienneté du nom de consul donné dans la Gaule à une fonction municipale, il cite les deux derniers vers de la description de Bordeaux, par Ausone :

« Diligo Burdigalnm, Romam colo civis in illa,
« Consul in ambabus cunae hic, ibi sella curulis.  »

« M. Du Cange, lit-on dans le Valesiana, n’a pas bien pris le sens d’Ausone il croit qu’Ausone, disant qu’il est consul dans les deux villes, Rome et Bordeaux, ne veut dire autre chose, sinon que, comme il avait été fait consul ordinaire à Rome par l’ordre de l’empereur Gratien, qui avait été son disciple, de même à Bordeaux, sa patrie, il avait obtenu la première dignité de la ville, qu’on appelait aussi le consulat. Les consulats, échevinages ou mairies, n’ont été établis dans les villes des Gaules que plus de huit siècles après le temps d’Ausone Ausone dit qu’il aime Bordeaux parce qu’il y est né, qu’il a Rome en vénération parce qu’il y a reçu la dignité consulaire, ce qui l’a rendu non-seulement à Rome, mais aussi à Bordeaux et dans tout l’empire, la seconde personne de l’Etat et tel est le sens des deux vers cités, ou il n’y en a pas du tout. »

Cette critique de Valois se divise, comme on le voit, en deux parties 4° Du Cange a eu tort de croire qu’Ausone a voulu dire qu’il eût été revêtu à Bordeaux de la magistrature municipale qu’on appelait consulat 2° il s’est trompé en avançant que du temps d’Ausone cette sorte de magistrature existait dans les villes de la Gaule.

A l’appui de la première de ces assertions, savoir,

  1. Voir la description de ce pagus dans le tome ler des Acta Acadetniee Theodoro-Palatinœ, p. 215 et suivantes.