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COMPTE-RENDU DU GLOSSAIRE DE DU CANGE. n’était pas sûr encore de ce qu’il dirait dans les autres, et où il le dirait. Je ne dois pas terminer sans parler des critiques qu’on lit dans le Valesiana. Elles sont, en général, exprimées en termes peu convenables, que Valois aurait probablement adoucis et modifiés s’il eût adressé un écrit au public, au lieu de s’expliquer dans de simples conversations. Une de ces critiques consiste à reprocher à Du Cange d’avoir donné comme des mots de basse latinité des mots imaginaires et faux, fondés sur quelque paçsage corrompu. Si l’édition de 1733-36 et le supplément de 1766 avaient été connus de Valois. il y aurait trouvé un bien plus grand nombre d’occasions de faire ce reproche, et avec assez de fondement; je me suis expliqué plus haut à cet égard. Mais, adressé à Du Cange d’une manière générale, le reproche semble bien sévère et même tout à fait injuste, puisque le Valesiana n’en donne qu’un exemple c’est le mot Aulaicus, qu’on trouve dans un passage cité comme extrait du cartulaire de Brioude, Tabidarium Brivatense, chapitre 437, en ces termes Si vero abbas, aut comes aulaicus, attt clericus. Valois prétend qu’on doit lire aut Meus, et que Du Cange a eu tort de présenter le prétendu mot aulaicus comme un terme de basse latinité. J’ai fait ce qui a dépendu de moi pour parvenir à une vérification. Mon savant et obligeant confrère M. Guérard a eu la bonté de rechercher les copies du cartulaire de Brioude que possède la Bibliothèque nationale malheureusement elles sont incomplètes, et ne dépassent point le chapitre 341. Mais les armoires de Baluze contiennent la copie d’une donation faite à l’église de Brioude, où précisément se trouve la phrase citée par Du Cange, et on y lit aut laicus. Quoique ce ne soit pas l’original, une copie faite par les soins de Baluze m’inspire assez de confiance pour ne pas douter de là leçon, qui justifie la conjecture de Valois, et que d’ailleurs la construction de la phrase semble commander. Mais avant de critiquer Du Cange il faut se mettre à sa place. En ne considérant que les trois volumes qui constituent la première édition, le Journal des Savants du mois d’août 1678 portait le nombre des passages cités à cent quarante-quatre mille. Or Du Cange ne les a pas tous copiés sur les originaux; il en a reçu la majeure partie, et il a dû croire à l’exactitude des correspondants qui les lui fournissaient. Il a lu dans l’extrait qu’on lui envoyait du cartulaire de Brioude le mot aulaicus, qu’il a pu, avec vraisemblance, prendre pour une corruption tfatilicus. Un homme non moins savant, Mabillon, a été entraîné, précisément par la même cause, dans des erreurs de ce genre et bien plus évidentes. On connaît les Formula} Andegavenses, dont il a été le premier éditeur, d’après un manuscrit unique existant alors à Wingharten, il s’en était fait adresser une copie; et voici comment, d’après cette copie, il a imprimé les premières lignes de la première formule Hic est testamentum « quarto regnum domini nostri Childeberto regis quod IX « fecit missus ille Chestantus  » ces deniers mots l’ont conduit à dire q<ie sous Childebert il avait existé un misstts regius appelé Chestantus. Des circonstances qui me touchent personnellement, et qu’il est inutile de raconter, ayant donné lieu à faire venir en France le manuscrit qui appartient maintenant à la bibliothèque de Fulde, on a reconnu qu’il porte HIC EST IESTA (pour g esta), titre ou rubrique de la première formule, laquelle commence ensuite par les mots « Annum quarto regnum domini nostri Childeberto «  regis quod fecit minsus (pour mensis) ille, dies tantus, « etc.  » leçon qui, sauf les solécismes, a un sens parfaitement conforme à celui d’un assez grand nombre d’autres formules constatant des gesta, c’est-à -dire des dépôts d’actes à la curie. Dans la formule xLe du même recueil, qui est celle d’une donation entre époux, Mabillon a imprimé cœtert hœredes FATTIDEN, ce qui n’offre aucun sens et suppose l’existence d’un mot de basse latinité dont on ne trouve aucun autre exemple. L’original ayant été exploré avec soin, on a reconnu qu’il portait succidant (pour succedant), et le sens de la formule est alors très-clair (1 ). Faut-il aussi taxer Alabillon d’ignorance  ? Il n’a fait, comme Du Cange. rien autre chose que reproduire une copie qu’il avait reçue. Je peux, précisément encore pour ce qui concerne le Glossaire, donner un autre exemple d’erreur du même genre, et produite par une cause semblable, que Valois n’a pas connue, et dont il n’aurait pas, sans doute, manqué de profiter. C’est le mot Intraha. Du Cange l’a recueilli, non pas même sur la foi d’un correspondant il l’a trouvé deux fois imprimé dans deux documents publiés par Marquard Freher (2), où on lit: e Tradimus « civitatem nostram Laudemburg, palatium nostrum. « cum omni ustensilitate in omni pago Laudemburgi et « undique in intraha, in pascuis, materiamine, aquas, «  aquarumque decursibus.  » Que signifiait intraha ? Les mots par lesquels on désignait, dans les actes de ventes, de donations, la consistance des choses, ce que nos notaires appellent appartenances et dépendances, étaient si variés, si bizarres, si divers selon chaque localité, que Du Cange, sous peine de négliger le mot intraha, qu’il trouvait dans des documents imprimés, a dû le recueillir; mais, comme il ne l’avait vu nulle autre part, il n’a point essayé de t’expliquer. Carpentier, dans son Supplément, a dit qu’intraha signifiait un héritage labouré, ager qui trahendo aratrum colitury c’est une explication comme une autre. Mais les deux documents ayant été publiés de nouveau dans le tome VII, p. 61, des Mémoires de F Académie Théodoro(1) La nouvelle édition de ces Fornmlœ Andegavenses, que AI. Eugène de Rozière, élève de l’Ecole des Chartres, a donnée en 1843, et que M. Giraud, membre de l’Académie des Sciences morales, a insérée dans le tome II de son Histoire du Droit Français au moyen âge, fournit un très-grand nombre d’exemples d’erreurs semblables. (2) Ces documents ont été reproduits par Lecointe, Annales Franconmi Ecclesiciblicas, t. II, p. 786 dans le Gallia Christiana nova, t. V, instr. p. 451 par Scbannat, Historia episcoporum Wormatenshtm, p. 309. Ce dernier, ne devinant pas ce que signifiait intraha, a imprimé intrantia.