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INAUGURATION DE LA STATUE DE DU CANGE. quel génie ne faudra-t-il pas reconnaître à celui qui aura su recueillir tous ces fragments informes, les interpréter l’un par l’autre, et de cet amas de décombres par lui coordonnés faire sortir l’histoire politique, civile et religieuse, les institutions, les mœurs, les usages des peuples transformés ou disparus ?R t Aucune nation, pas même la patiente et laborieuse Allemagne, ne peut se vanter d’un savant ayant construit à lui seul deux ouvrages comme le Glossaire de la basse Grécité et le Glosaire de la basse Latinité. Ce sont deux colonnes lumineuses, éclairant au loin tout le moyen âge et jusqu’aux profondeurs les plus reculées du Bas-Empire; et l’imagination s’effraye de songer que ces deux glossaires, bases impérissables de la gloire de du Cange, n’ont été pour ainsi dire que les distractions de ses travaux administratifs. Oui, du Cange offrit à l’Europe savante l’intéressant spectacle d’un historienmagistrat rivalisant, du fond de son cabinet isolé, avec l’illustre congrégation de Saint-Maur. « Si la France est justement fière d’avoir donné du Cange au monde savant, à son tour la ville d’Amiens doit être fière d’avoir donné du Cange à la France. Encore le nom de du Cange n"est-il pas l’unique titre de la ville d’Amiens à la reconnaissance des savants et des lettrés de tous les âges et de tous les pays. « Des amis de l’étude sérieuse ont manifesté au ministre le désir que le nom de du Cange fût attaché au principal établissement d’instruction publique de cette ville. Paris avait donné l’exemple de cette consécration des gloires locales deux grandes cités viennent de le suivre. Amiens n’aura rien à leur envier; au lycée Corneille de Rouen, au lycée Descartes de Tours, Amiens dès aujourd’hui peut opposer sans désavantage son lycée du Cange. 0 « Puisse, Messieurs, cet illustre patronage porter bonheur à vos écoles du sein de votre lycée, pour lequel j’ai doublement le droit de faire des vœux (4), puisse ce patronage susciter à du Cange un émule et un successeur.  » M. Magnin, président de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, a pris ensuite la parole en ces termes « Messieurs, L’Académie des Inscriptions et Belles Lettres ne pouvait rester indifférente à la solennité qui nous rassemble elle s’y associe pleinement, Messieurs, et le nombre de ses membres qui se pressent autour de ce monument le prouve mieux que mes faibles paroles. L’Académie partage votre vénération filiale pour le grand critique né dans vos murs, et salue en lui un de ses plus éminents précurseurs. En effet, par les voies qu’il a ouvertes, par les instruments d’investigation qu’il a créés, par les belles et innombrables applications qu’il a faites des (1) M. Génin est né à Amiens et a fait ses études au lycée de cette ville. plus excellentes méthodes, du Cange a renouvelé et agrandi le champ des études historiques. Il a, avec Hadrien de Valois, Denys Godefroy et Baluze, fondé parmi nous l’érudition laïque et fait sentir la nécessité de confier à des compagnies savantes le dépôt et la culture de ce précieux héritage. Oui, les beaux exemples de ces hommes admirables ont préparé et dicté en quelque sorte les règlements qui, en 1701, ont définitivement constitué l’Académie des Belles Lettres. « Les caractères distinctifs des œuvres et du génie de du Cange sont la hardiesse et la fécondité. Nul n’a pressenti de plus loin ni discerné d’un coup d’oeil plus sûr les questions qui devaient occuper et intéresser l’avenir. « Le moyen âge, par exemple, qui attirait à peine un regard au seizième et au dix-septième siècle, et que la science et même la mode explorent dans tous les sens aujourd’hui, le moyen âge nous a été ouvert par du Cange. Aurions-nous pu faire un seul pas dans ces routes obscures, si nous n’avions eu pour nous guider le secours de ses deux admirables Glossaires ? Personne (je ne crains pas qu’on le conteste) n’a compulsé, déchiffré, interprété plus de documents originaux, secoué la poussière de plus de chartres pour en tirer la connaissance des lieux, des institutions, des mœurs et des idiomes. Je ne prétends point, à Dieu ne plaise contester ni affaiblir les services rendus à notre histoire par les congrégations religieuses mais enfin l’étude des chartres avait pour les monastères un intérêt direct et domestique. Les religieux cherchaient surtout à constater des droits utiles dans la lecture et la copie des actes. Du Cange et les érudits laïques du dix-septième siècle ont défriché les ronces et les épines des temps barbares, sans autre mobile que l’amour désintéressé du vrai et le pur dévouement au génie sévère de l’histoire. « Je ne citerai point les nombreux ouvrages imprimés de du Cange, ni les manuscrits non moins nombreux qu’il a laissés, et dont la simple nomenclature, dressée par une main pieuse, semble le catalogue d’une bibliothèque. Je remarquerai seulement qn’il a exécuté ses immenses travaux sans préjudice d’aucun des devoirs de la vie civile. Il a pendant vingt-trois ans (vous le savez mieux que moi) rempli avec assiduité dans cette ville une charge importante d’administration et de finance il a été, durant sept années, auprès de son père infirme, un modèle accompli de piété filiale enfin dans le cours d’une union prospère, qui a duré plus d’un demi-siècle, il a eu à élever dix enfants. Les facultés heureuses et bien dirigées de ce grand esprit ont suffi à tout sans efforts. Par caractère, d’ailleurs, il recherchait les tâches difficiles. Ce grand homme, qui avait préparé tant de matériaux sur l’ensemble et sur tous les détails de notre histoire, a terminé de préférence et a imprimé ou mis en état d’être imprimées les parties qui exigeaient la réunion des connaissances les plus rares et les plus variées. « Ainsi les croisades, l’empire latin, l’occupation française et normande de la Grèce et de la Sicile, ces IV