Page:Du Cange - Glossarium mediae, T9, 1887.djvu/426

Cette page n’a pas encore été corrigée

ÉLOGE DE DU GANGE. l’univers, dont ils sont devenus un des premiers ornements. En recevant les ouvrages de du Cange dans sa bibliothèque, Louis XV, imitant la libéralité du grand roi qui avait récompensé l’auteur, a continué cette récompense dans un sage de sa famille, et pendant sa vie lui a confié la direction des études de la jeune noblesse de son royaume, à l’instruction de laquelle contribuera cet esprit laborieux, qui par une transmission aussi heureuse influera sur toute la nation. C’est au milieu de cette école dirigée par un Dufresne c’est dans cette bibliothèque enrichie des ouvrages de du Cange, c’est dans toutes les académies que je voudrais voir aussi élever et multiplier sa statue. Ainsi la statue de Varron et celles d’autres savants étaient placées dans le temple qu’Auguste avait dédié à Apollon, afin qu’on pût voir dans le même lieu respirer par le marbre et les métaux les plus précieux les images de ces hommes immortels dont les âmes y parlaient encore par leurs ouvrages (1). L’éloge de M. du Cange ne finit point à ses ouvrages; nous aurions dû le commencer par ses vertus. Il était né avec cette simplicité, cette candeur, cette ingénuité qui caractérisent presque tous les grands hommes les qualités précieuses de cette âme honnête furent fortifiées encore par la longue habitude d’avoir eu moins de commerce avec les autres hommes qu’avec les livres, et de connaître bien plus son cabinet que le monde. Des mœurs pures étaient chez M. du Cange une disposition à ce lien sacré qui remplit seul le triple vœu de la nature, de la société et de la religion; cinquante ans d’une union toujours heureuse, où l’estime et la tendresse n’avaient jamais été altérées, sont une double louange toujours très-rare, même dans d’autres siècles que le sien et le nôtre (2). Par le désir d’être utile, qui avait toujours été son premier désir, M. du Cange avait pris une charge dont les fonctions, remplies avec exactitude, ne nuisaient point à ses études, qui servaient seulement à la lui faire mieux exercer (3) on a bien du temps quand on sait bien l’employer d’ailleurs il n’en perdit jamais, ou dans les agitations insensées du plaisir, ou dans les courses ambitieuses des honneurs, ou dans les vaines inquiétudes des richesses. Né avec un bien suffisant, son désintéressement venait de son cœur, et surtout de son esprit, qui ne souhaitait que des livres. Si l’ambition avait eu quelque place dans son âme, il n’eût pas manqué d’occasions de la satisfaire, par la connaissance des grands et des ministres, auprès desquels la réputation de son savoir l’appelait plus souvent qu’il ne le voulait peut-être. Pour les plaisirs, M. du Cange n’en connaissait point d’autres que les charmes innocents d’une société domes(1) Si quidem non solttm ex auro, argentove, aut certe ex marmore dicuntur illi quorum ttnmortales ammœ in locis iisdem loquunlur (PI., liv. III, C.2 .) (2) M. du Cange avait épousé, en 1638, Catherine Dubos, fille de Philippe Dubos, écuyer, seigneur de Drancourt. L’abbé Dubos, de l’Académie Française, était de cette famille noble. Elle survécut six ans à son mari. (3) M. du Cange fut reçu en 1642 trésorier de France au bureau d’Amiens. tique, où il était le plus heureux et le plus tendre des maris, des pères, des amis. Cependant il n’avait rien de cette humeur austère ou sombre dont l’étude est souvent ou la cause ou l’effet. De ce cabinet où son esprit venait d’être occupé des études les plus sérieuses, il sortait avec cette sérénité que donne à Pâme la satisfaction d’un travail heureux c’était chez lui l’expression continue de la félicité attachée à une raison épurée, à une conscience tranquille, et surtout à la douceur de l’âme. La modestie de M. du Cange s’était toujours conservée inaltérable, quoique tout le monde parût conjuré contre elle. Un étranger, animé du même esprit, qui d’un bout de l’Asie à l’autre avait amené le philosophe Apollonius dans l’école du brahmane Yarka, et qui des extrémités de la terre avait conduit à Padoue un admirateur de Tite-Live, était venu à Paris rendre hommage aux savants français, et s’éclairer de leurs lumières. On l’adressa au plus savant de tous, à du Cange, qui lui dit C’est Mabillon que tous devez aller voir et consulter; mais Mabillon le renvoya dans l’instant, en lui répondant Retournez à du Cange, il a été, il est bon maître, et il sera le vôtre. Ce combat touchant d’une préférence réciproque n’était pas un discours, c’était un sentiment; et ces deux savants n’eussent pas été également grands s’ils n’eussent pas été également modestes. C’est par cette modestie de sentiments, comme par l’élévation de ses talents, que M. du Cange avait mérité cette sorte de respect qui lui survit. Il n’est point de vieillesse pour le sage, ou du moins la vieillesse, ce don que la nature avare ne fait aux autres qu’à des conditions si dures, lui vient avec de nouveaux avantages cet âge, qui est pour les autres un temps d’humiliation et de dépérissement, est pour lui un temps de perfection et de triomphe c’est alors surtout qu’il profite de la science qu’il a acquise, non comme un avare, à son âge, jouit de son trésor, qui n’est que pour lui seul. mais en la partageant avec les autres, ce qui est la véritable jouissance. Cette facilité de se communiquer particulière à M. du Cange lui avait aussi produit, plus qu’à aucun autre, cette considération d’autant plus flatteuse, qu’elle est personnelle un savant communicatif est presque un prince libéral. M. du> Cange se trouvait de plus un magistrat souverain, quand, consulté sur d’anciens titres, l’explication qu’il en donnait allait décider de la fortune des familles aussi exerçait-il cette espèce de magistrature savante avec une intégrité d’autant plus scrupuleuse, que, possédant seul les lumières nécessaires pour la remplir, il devenait un arbitre unique. Un de ses ouvrages (1) lui a continué l’honneur d’être souvent le juge même des autres juges. Sa délicatesse équitable, quand il jugeait les riches, avait le même principe que son humanité charitable quand il secourait les pauvres. D’autres vertus encore. Mais il vaut mieux laisser deviner ces suites (1) Messieurs de la chambre des comptes ont toujours sur leur bureau le Glossaire latin de M. du Cange pour y recourir sur les difficultés que présentent les anciens titres.