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ÉLOGE DE DU CANGE. de la sienne, la majesté du nom français, enfin l’histoire générale de la France, qui avait toujours été son objet principal. On ne peut douter de ce dessein arrêté, soit que l’on consulte ses manuscrits immenses, contenant une description historique et géographique des Gaules ancienne et moderne, soit que l’on voie tous les matériaux qu’il avait amassés pour une histoire de France, pour les dignités, ou qu’on ait recours à ses recherches sur la généalogie de nos rois et au Nobiliaire général de la France. ouvrage neuf et intéressant, même pour toute l’Europe on en est encore plus convaincu en lisant son Histoire du règne de saint Louis (1) époque principale, et pour la nation et pour la maison auguste qui la gouverne, en y joignant surtout les dissertations savantes qui servent à expliquer ce qu’ilyadeplus important à savoir sur les époques qui les concernent; si l’on y ajoute enfin toutes les pièces originales qu’il avait recueillies pour le même objet, et qu’il avait presque toutes dérobées à la poussière et au mépris de notre siècle pour l’érudition. On s’aperçoit alors que c’étaient les parties d’un tout historique, qui, quoique séparées, offrent mutuellement tant de rapports et de dépendances, qtfil semble qu’après avoir été détachées, par une espèce de viojence, les unes des autres, elles cherchent naturellement à se réunir on sent aussi que pour leur réunion il n’a manqué que le temps à leur auteur, qui de notre histoire savait si bien toutes les grandes choses et tous les détails qui les agrandissent encore. Un ministre qui pensait à tout, Colbert, avait pensé à procurer à la France le Recueil de ses historiens. Tous les savants furent consultés sur ce dessein, et le plus savant de tous, M. du Cange, fut chargé de l’exécution. Il était si plein de son objet, que bientôt il eut fait la préface, qui contenait les noms des auteurs, leur caractère, leur style, le temps où ils avaient écrit, et la place qu’ils devaient occuper dans le Recueil. Le ministre, prévenu contre ce plan, fit répondre qu’il en fallait un autre; mais M. du Cange, trop peu courtisan pour suivre des ordres dans une partie qui n’en admet point, refusa d’accepter celui qui eût nui à sa réputation, et surtout à l’ouvrage. Il abandonna à ceux qui l’avaient conseillé un plan qu’ils ne purent exécuter eux-mêmes, ce qui était un premier hommage au sien. M . du Cange, qui n’avait été sensible qu’à l’inexécution d’un projet qu’il jugeait utile et glorieux à la nation, eût été consolé de cette espèce de disgrâce littéraire s’il eût pu savoir qu’un demi- siècle plus tard un de ses compatriotes serait digne d’être chargé de reprendre le même dessein (2), et qu’il le remplirait sur son plan même; double éloge pour la patrie commune. Dans son travail sur l’histoire générale de sa nation, M. du Cange n’avait point oublié l’histoire particulière de la province où il était né celle des comtes d’Amiens, (1) Par Joinville, sénéchal de Champagne, qui avait accompagné saint Louis dans ses expéditions M. Du Cange a donné en 1668 une édition de cette histoire avec des notes et dissertations. (2) Dom Bouquet, religieux bénédictin, qui était d’Amiens et honoraire de l’Académie de cette ville, a donné en 4733 le Recueil des historiens de France. de ses évêques, de ses vidames, de ses gouverneurs, de ses baillis l’état de la ville, un traité historique sur l’un des objets pieux de la vénération singulière du diocèse enfin des mémoires nombreux sur toutes les parties, soit ecclésiastiques, soit civiles, de l’histoire de la Picardie, avaient acquitté sa reconnaissance envers sa patrie, et lui ont bien mérité celle de ses compatriotes. Ceux d’entre eux dont il a été le précurseur pour les sciences pourraient-ils payer autrement leur part de ce tribut de reconnaissance, qu’en publiant bientôt les ouvrages de M. du Cange qui sont achevés, ou en achevant ceux qui sont restés imparfaits du moins en donnant une notice exacte et raisonnée de ces ouvrages, tellement nombreux, que l’énumération seule formerait une pauvre très considérable et très digne de ceux qui la feraient et de ceux pour qui elle serait faite ? C’est le vœu que l’univers savant adresse par notre voix à une compagnie qui doit regarder les ouvrages de M. du Cange comme son patrimoine. Nous avons passé sous silence un très grand nombre d’ouvrages particuliers, qui auraient peut-être suffi pour l’éloge d’un autre, tel que la Chronique pascale [), qu’il a traduite, corrigée, augmentée, et dont les additions peuvent servir à perfectionner la chronologie générale mais il reste un ouvrage qui parait comprendre tous les antres, et dont les bornes de ce discours ne nous permettent que d’annoncer le titre il suffira cependant pour faire juger du travail, quand il est celui de M. du Cange, et quoique ce ne soit presque qu’un projet c’est celui d’un dictionnaire universel, qu’on pourrait appeler Encyclopédie, en la prenant même dans la signification du mot la plus étendue, et qu’on doit regarder comme l’ouvrage du génie, qui dispose de toutes les richesses de l’érudition. Nous aurions pu aussi, nous aurions même dû compter parmi ses travaux un commerce de lettres prodigieux avec tous les grands de l’Europe qui aimaient l’érudition, et avec tous ceux qui étaient grands parce qu’ils étaient érudits. C’étaient les Lamoignon, les Leibnitz, les Valois, les Bollandus, les Paperoc, les Baluze, les Renaudot. les d’Acheri, les Mabillon, tous, ses amis, il est vrai mais des amis savants sont peut-être la partie du public la plus sévère aussi les lettres savantes qu’il leur écrivait ne sont-elles pas les moins travaillées de ses ouvrages, et sont aussi dignes d’être louées que d’être lues. Tant et de si beaux ouvrages, soit manuscrits soit imprimés, étaient bien dignes d’entrer dans le dépôt savant de tous les ouvrages du monde, dans le sanctuaire de toutes les sciences, dans les archives des lettres et des arts, enfin dans la .première bibliothèque de (i) La Chronique pascale, ou d’Alexandrie, est un recueil de faits mémorables, estimé pour l’exactitude des dates elle contient une supputation pour trouver les jours auxquels on doit célébrer la Pâque et les autres têtes mobiles. Ces calculs se faisaient ordinairement à Alexandrie, où les ecclésiastiques étaient plus habiles dans l’astronomie ils les envoyaient aux autres églises, et on les attachait au cierge pascal pour que le peuple pût les y lire. M. du Cange, dans l’édition qu’il avait préparée de cette Chronique, l’avait enrichie de notes propres à perfectionner la chronologie générale.