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viii NOTICE SUR LA VIE ET LES OUVRAGES

coutumes et des lois de l’Europe, depuis Constantin ; elle contient un nombre infini de corrections et de variantes sans lesquelles une multitude d’auteurs arabes, grecs, latins, français, italiens seraient inintelligibles. Tout ce qui concerne les dignités et fonctions civiles, ecclésiastiques, militaires, et généralement toutes les notions nécessaires à l’étude de l’histoire, de la chronologie, de la numismatique, de la jurisprudence, de la théologie, y sont l’objet de dissertations admirables de science et de lucidité. Le livre de Du Cange reçut, dans le siècle suivant, un complément non moins remarquable, dû à la plume du célèbre dom Carpentier et aux travaux des Bénédictins de Saint-Maur. Il a été réimprimé, en 1850, par MM. Didot, et cette édition a été considérablement augmentée par M. Herschel, qui rivalise de savoir et de zèle avec ses devanciers.

Un habile critique de nos jours, M. Léon Feugère, auquel nous devons une étude remarquable sur la vie et les ouvrages de Du Cange, assure, en parlant du Glossarium, que son auteur a élevé un des monuments les plus fameux de l’érudition du XVIIe siècle.

« Le Glossaire latin, dit M. L. Feugère, a été l’ouvrage le plus considérable et le plus estimé de Du Cange. Recueil immense, ouvert à tous les sujets, il avait permis à son auteur d’utiliser une infinité d’observations de détails, en y déposant les souvenirs accumulés dans ses lectures. En réalité, les produits et les extraits d’un demi-siècle d’études étaient venus s’y ranger par ordre alphabétique. Un grand nombre d’articles qui en remplirent les colonnes, avaient dû être primitivement placés dans l’histoire des moeurs et des pages des Français. La forme du vocabulaire ne parut avoir pour objet que d’y rendre les recherches plus faciles. Jamais, auparavant, tant de passages imprimés ou manuscrits d’écrivains grecs, latins, italiens, français, espagnols, allemands, anglo-saxons, etc.. n’avaient été réunis pour dissiper les ténèbres du passé. À partir de Du Cange, tous les dialectes qu’engendra la décomposition de la langue de Rome, et lui en usurpèrent le nom, devinrent intelligibles.

« Du Cange, sous ce titre modeste de Glossarium, a donc élevé un des monuments les plus remarquables et les plus fameux de l’érudition du grand siècle. Il a donné sur presque toutes les sciences une suite d’excellents traités.

« Une dissertation, considérable par son étendue comme par l’importance des matières, forme la préface du Glossarium. Dans ce morceau, Du Cange rassemble et envisage tour à tour les causes qui ont corrompu le langage latin. La principale s’offre à lui dans les inondations des Barbares, qui ont implanté dans l’Empire beaucoup de mots de leurs idiomes ; puis, sont venus les scribes et les copistes qui, hors d’état de rédiger avec pureté les chartes et les pièces semblables qu’il était d’usage d’écrire en latin, y mêlaient sans scrupule les lambeaux de leur langage vulgaire, qu’ils déguisaient par des terminaisons latines.

« Du Cange, non content de déterminer avec une précision rigoureuse la signification des 140, 000 mots


qu’il a réunis dans son Glossarium, donne souvent de très longs et très intéressants détails sur les institutions et les coutumes des temps anciens. Quelquefois, même, ses observations prennent assez d’étendue pour se transformer en dissertations littéraires et historiques. Plusieurs de celles-ci portent sur les Jugements de Dieu. C’étaient les justifications qui s’accomplissaient par le duel, l’eau froide, l’eau ou le fer chaud, l’Eucharistie, la Croix, l’Evangile, le jeûne et autres, pratiques semblables.

Tel est le contenu du Glossarium, de ce livre qui a porté pour nous jusque dans les régions les plus ténébreuses du moyen-âge une lueur définitive, et qui nous met à même de le parcourir commodément en tout sens ; de ce livre qui nous a introduits dans la connaissance d’un millier de volumes ou de documents presque entièrement interdits à notre curiosité ; dont les corrections et les variantes seules ont pour effet de rétablir le texte d’une multitude de passages écrits dans toute espèce de langues ; qui pour les dignités et fonctions civiles, ecclésiastiques ou militaires, pour la chronologie, l’histoire, la numismatique, la jurisprudence, ne laisse sans réponse aucune question qui puisse lui être adressée ; enfin, qui ne renferme rien moins qu’un traité complet des idiomes, des moeurs, des coutumes et des lois de l’Europe, depuis Constantin jusqu’aux temps modernes. On conçoit qu’un travail de cette immensité n’ait pas reçu tout d’abord sa perfection. De là les utiles accroissements que lui ont donnée, au siècle suivant, les Bénédictins de Saint-Maur et le savant D. Carpentier, de l’ordre de Cluny ; de là aussi, de nos jours, la réimpression complète et augmentée de ce Glossarium.

Nous avons cru devoir reproduire l’appréciation si juste et si vraie de Léon Feugère, sur le Glossarium. Aucun critique, jusqu’à lui, n’avait mieux compris et mieux exposé le plan suivi et si admirablement exécuté par Du Cange.

On rapporte, au sujet de ce livre, une anecdote fort singulière (1)[1]. L’auteur fit venir un jour quelques libraires dans son cabinet et, leur montrant un vieux coffre placé dans un coin, il leur dit qu’ils y pourraient trouver de quoi faire un livre et que, s’ils voulaient l’imprimer, il était prêt à traiter avec eux. Ils acceptèrent l’offre avec joie, mais s’étant mis, a chercher le manuscrit, ils ne trouvèrent qu’un tas de petits morceaux de papier qui n’étaient pas plus grands que le doigt, et qui paraissaient avoir été déchirés comme n’étant plus d’aucun usage. Du Cange rit de leur embarras et leur assura, de nouveau, que son manuscrit était dans le coffre.

Enfin, l’un d’eux ayant considéré plus attentivement quelques-uns de ces petits lambeaux, y trouva des remarques qu’il reconnut être le travail de Du Cange. Il s’aperçut même qu’il ne lui, serait pas impossible de les mettre en ordre, parce que, commençant tous par le mot que l’auteur entreprenait d’expliquer, il n’était

  1. Nouveau Dic. histor. par une société de Gens de Lettres. 1786. Caen, Le Roy.