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Aussi Baluze. qui ne partageait pas l’étonnement du bibliothécaire de l’Empereur d’Autriche, lui fait-il cette réplique : « C’est que beaucoup d’auteurs ont

« cru à tort que les embarras d’un ménage sont

« peu compatibles avec la vie littéraire et qu’il n’est

« guère possible de se livrer à l’étude, quand on n’a

« pas, comme disait Cicéron, sa couche libre : Quando

« non libero lecturo utuntur ; mais, ajoute-t-il, l’exemple

« de Du Cange a démenti cette opinion. Joignez à cela

« qu’il levait ses enfants par lui-même et avec le soin

« le plus scrupuleux, tâche ou le mérite de sa femme

« lui prêta, il est vrai, un secours très efficace. »

L’éloge que Baluze fait ici de la femme de Du Canges est très juste ; c’était une personne d’une haute distinction, d’un esprit cultivé, d’un jugement sûr et d’une extrême bonté. Elle avait su apprécier les rares qualités de son époux : loin d’entraver ses goûts pour l’étude par les plaisirs mondains, elle s’efforça toujours de lui alléger les exigences de la vie intérieure. Du Cange, se voyant si bien secondé, savait partager son existence entre ses études et sa famille chérie ; il prouvait ainsi que le génie, loin d’exclure la sensibilité, la développe dans une âme où dominent les sentiment élevés.

Dès sa jeunesse, Du Cange avait montré un goût très prononcé pour l’histoire de son pays.

« Au reste, dit L. Feugère (1)[1], il n’était pas de ceux

« pour qui elle consiste seulement dans la science des

« faits : tout ce qui intéresse le genre humain semblait

« être de son domaine. Aux actions des hommes et à

« la destinée des peuple il voulait assigner des causes,

« et il les cherche dans leur origine, leurs institutions,

« leur gouvernement. De là ce vaste cadre qui compre-

« nait pour lui presque toutes les branches ded connais-

« sances, resserrées en un solide faisceau : linguistique,

« philologie, législation, humanités philosophie et théo-

« logie même : il aspirait à tout embrasser, tout appro-

« fondir peur mieux comprendre le passé. Puiser

« l’érudition à toutes les sources, tel était, en un mot,

« le noble but auquel il voulut vouer sa vie.

Du Cange se livra donc entièrement aux études historiques, d’après les documents originaux, et il s’attacha principalement à former une collection générale des historiens de France. Dans une préface écrite en latin, il expose le plan de cette collection, idea et conspectus operis, et à la suite il place une table des matériaux à réunir, et l’accompagne de vingt-six titres ou sommaires, Argumenta Historiae Francorum, et de vingt-six questions qu’il pose sur ces mêmes sujets. Il voulait faire connaître, dans ses moindres détails, l’Histoire de France, et en éclaircir les parties restées obscures jusqu’à ce jour. C’était une œuvre colossale, que le génie seul de Du Cange était capable de concevoir et d’exécuter.

Afin d’apporter une complète unité dans son travail, il dressa, tout d’abord, une carte généalogique des rois et Maison de France, que le Journal des Savants du mois de décembre 1749, considère comme un chef-d’œuvre. Ce tableau présentait, d’un seul coup d’œil, les différen-


tes branches, les alliances, le blason et la chronologie, avec des écussons contenant un précis historique. Il a servi de modèle aux généalogistes des Maisons souveraines de l’Europe.

Du Cange, lorsqu’il exécuta cette carte, était à peine âgé de vingt ans. Ce début permit de concevoir les plus brillantes espérances pour un jeune homme qui possédait, déjà, de si vastes connaissances historiques. Ces espérances, loin d’être déçues, furent dépassées. Il poursuivit son œuvre avec activité, et composa sur la Géographie de la France un Recueil qui ne contient pas moins de dix volumes in-folio. Un écrivain de l’époque déclare que ce Recueil, surtout le septième volume, intitulé Gallia, est un abîme d’érudition. C’est le répertoire de tous les passages des auteurs qui ont donné des détails sur la Gaule. Topographie, mœurs, usages, traditions, notions historiques, enfin ce, qui concerne cette région y est fidèlement relevé dans un ordre des plus méthodiques,.

S’agit-il des moeurs des Gaulois, Gallorum mores, quarante renvois, commençant par Martial et se terminant par la collection d’A. du Chesne, permettent de se reporter immédiatement aux passages des auteurs qui ont traité cette question.

Au titre Narbona, sont placées quatre-vingt-sept citations, tirées de Tzetzes sur Lycophron, de Silius Italicus, des inscriptions de Gruter, etc. Les articles consacrés à Marseille, Nantes, au Rhône, à la Marne, à la Seine, etc. portent des renvois aux auteurs grecs, latins, italiens, etc., avec l’indication des auteurs et des folios des pages à consulter.

Les neuf autres volumes contiennent des notes très détaillées sur la Géographie ancienne et moderne de la France, dont les limites naturelles sont : le cours du Rhin, depuis ses sources dans les Alpes Rhétiques, jusqu’aux extrémités de ses canaux maritimes ; les côtes bordées par l’Océan jusqu’aux Pyrénées ; ta chaîne de ces montagnes jusqu’à la Méditerranée les côtes de cette mer jusqu’aux Alpes, et de là aux sources du Rhin. Du Cange, avec la sagacité dont il était doué, avait compris que le comté de Nice, la Savoie, la Suisse, les électorats de Trèves, de Cologne, de Mayence et du Palatinat, l’évêché de Liège, les Pays-Bas, les Provinces-Unies et la Lorraine faisaient, géographiquement, partie du territoire de la France.

L’auteur a divisé son travail en chapitres. Ce sont autant de dissertations auxquelles il ne manque qu’une rédaction définitive pour les livrer à l’impression. La Gaule est étudiée dans ses quatre parties principales : la Viennoise ou Narbonnoise, l’Aquitaine, la Celtique ou Lyonnaise et la Belgique. Il décrit aussi toutes les îles placées sur les côtes, et analyse les projets conçus depuis Strabon jusqu’au XVIIe siècle, pour la jonction des deux mers à travers la Gaule.

Chaque dissertation commence par une description topographique de la partie de la Gaule qu’elle décrit puis elle en établit les limites, les noms des rivières, la distribution des divers cantons ; le tout est accompagné de citations et d’indications des ouvrages, des manus-

  1. Etude sur la vie et les ouvrages de Du Cange. — 1852.