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II NOTICE SUR LA VIE ET LES OUVRAGES

n’ont été livrés à la publicité que longtemps après sa mort. On y voit que cette famille jouissait, dans cette contrée d’une haute considération et d’une grande autorité, à l’époque du siège. C’est une preuve qu’elle remontait aux premiers temps de la Chevalerie. Un de ses ancêtres y est qualifié de Sergent d’armes du Roy, titre dont les plus nobles maisons de France se faisaient honneur : Le fils et le petit-fils de ce Sergent d’armes combattirent les Anglais, pendant le siège de Calais. Après la prise de cette ville, ils en furent chassés par les vainqueurs, et leurs biens confisqués. Le roi de France, afin de leur donner une compensation, les fit entrer dans l’armée. Ce ne fut point là qu’ils recouvrèrent la fortune qui leur avait été enlevée par les Anglais. La noblesse ne s’enrichissait point dans la carrière militaire et les exilés tombèrent dans un complet dénuement. Un des membres de cette famille est qualifié dans les actes du XVe siècle, de pauvre écuyer, auquel il ne

« restait que son cheval et son harnais, qu’il employait

« au service du Roi. » Ce fut à cette époque qu’ils renoncèrent aux armes. Ils se fixèrent à Amiens. où les fonctions de juge royal à Beauquesne devinrent héréditaires dans leur famille. Ces fonctions judiciaires leur permirent d’acquérir plusieurs fiefs qui, sans leur rendre leur opulence passée, améliorèrent leur situation.

Du Fresne était le nom de cette famille, et Du Cange celui d’un fief de la terre de Contay. Un usage, qui s’est prolongé jusqu’au milieu du XIXe siècle, autorisait les familles nobles ou bourgeoises possédant des propriété à donner à leurs fils un nom de terre, soit d’un château. d’une ferme ou simplement d’une maison de campagne. Le grand père de Du Cange se nommait Michel Dufresne, et son père Louis Dufresne. Un historien de la ville d’Amiens a qualifié ce dernier de noble et vertueux. Nous savons qu’il était très instruit, ami des lettres, et très considéré. Il eut de sa première femme Marie Vaquette trois fils. Devenu veuf, il se remaria, et sa seconde femme Hélène de Rély, qui appartenait à une ancienne famille de l’Artois, lui donna trois fils : Charles Du Cange, le grand philologue, puis Michel et François qui se vouèrent à l’enseignement religieux et furent des professeurs distingués.

Le jeune Du Cange entra, dès l’âge de neuf ans, au collège des Jésuites d’Amiens. Son attention soutenue, son amour de l’étude et la vivacité de son esprit le firent bientôt remarquer de ses professeurs, qui s’attachèrent à développer ces précieuses qualités. Aussi, fit-il de rapides progrès, et, en quelques, années, il apprit le latin, le grec, le français et plusieurs langues étrangères.

Il acheva ses études dans cet établissement, et alla faire son droit à Orléans. Là, comme à Amiens, il attira l’attention et gagna la bienveillance de ses professeurs par son amour du travail et la pénétration de son esprit. On raconte qu’il résolut plusieurs questions de notre vieux droit coutumier, considérées jusque là comme des problèmes insolubles par les plus éminents jurisconsultes, Ce n’étaient plus l’intelligence, la capacité, le travail qui se montraient ; c’était le génie qui commençait à paraître avec éclat, pour jeter ses vives lueurs


sur les usages, les coutumes, les mœurs des premiers siècles de notre monarchie.

Le jeune érudit quitta Orléans et vint à Paris, où il fut reçu avocat au Parlement, le 11 août 1631. Le courant de ses idées l’eût retenu dans la capitale, où il pouvait satisfaire son goût si prononcé pour les recherches philologiques ; mais son père désirait l’avoir près de lui sans hésiter, le fils respectueux de la volonté paternelle abandonne Paris, ses riches bibliothèques et ses précieux dépôts de manuscrits et revient à Amiens.

Dans sa ville natale, Du Cange rencontra de vives sympathies : une foule de Familles nobles mirent à sa disposition des chartriers, des titres, et des documents historiques de toute nature : On comprenait déjà que ce jeune homme serait l’honneur de sa province.

Il eut la douleur de perdre son père, mais, par respect pour sa mémoire et pour ses derniers conseils, il resta à Amiens, où il parut se fixer définitivement en épousant, le 19 juillet 1638, Catherine du Bos, fille d’un trésorier de France de cette ville. Ce jour-là, le nouvel époux consacra six heures à l’étude.

Sept ans plus tard, en 1645, Du Cange acheta la charge de son beau-père. Voici l’historien, le philologue, le compulseur de vieux titres devenu financier ; non pas à l’aide de commis et de fondés de pouvoirs, mais alignant lui-même les chiffres, et en contact avec le public, qu’il charmait par ses manières distinguées et bienveillantes.

La peste, qui décima la population d’Amiens, en 1668, le força, de quitter cette ville ; il alla s’établir à Paris, où l’appelaient de nombreux amis et les précieuses collections de documents qu’il avait autrefois quittés avec tant de regrets Là, il vécut dans l’intimité de M. d’Hérouval, un érudit qui reconnaissait la haute supériorité de son ami et avait accepté le rôle dévoué et modeste de recueillir des documents. Pendant vingt ans, Du Cange travailla avec une ardeur et une persévérance que rien ne ralentit. Dégagé des obligations de la société, qui imposent une si grande perte de temps, il s’était voué entièrement à l’étude. Ce qu’il produisit dans cette période d’activité intellectuelle parait prodigieux, et on pourrait croire qu’il se faisait aider par de nombreux secrétaires, si tous ses manuscrits n’étaient écrits de sa main.

Tout en remplissant ses fonctions financières, avec cette scrupuleuse exactitude qu’il apportait à ses travaux, Du Cange trouvait encore du temps pour continuer ses recherches littéraires, et surtout pour s’occuper de l’éducation de ses dix enfants, qu’il entoura de la sollicitude la plus tendre et la plus éclairée. Ces devoirs si absorbants de père de famille arrachèrent cette exclamation au bibliothécaire de l’Empereur d’Autriche :

« Comment, s’écria-t-il, peut-on avoir tant lu, tant pensé,

« tant écrit et avoir été cinquante ans marié et père

« d’une si nombreuse famille ! »

Le secret de Du Cange était dans le bon emploi de son temps et, surtout, dans le bonheur qu’il avait eu de rencontrer une épouse digne de le comprendre.