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points saillants que l’on distingue lorsque l’on étudie sérieusement l’ensemble très-embrouillé des doctrines, — non, — des rêveries du prolétariat. Cela n’aurait rien de rassurant pour l’avenir, si les moyens d’exécution correspondaient aux aspirations. Ces hommes, ces ouvriers intermédiaires et théoriciens qui abandonnent si volontiers l’outil pour la parole, disent qu’ils sont un peuple de frères. Étrange fraternité pour qui est descendu parmi eux et les a attentivement regardés. Ils se méprisent entre eux avec une intensité que l’on croirait dogmatique et empruntée aux lois religieuses des Indous. Jamais brahmane n’a eu plus de dédain pour un coudra qu’il n’y en a entre les divers corps de métiers qui forment l’industrie de Paris. C’est insulter un ouvrier joaillier que de l’appeler bijoutier ; un charpentier rougirait d’être pris pour un menuisier. J’ai entendu un charretier se disputer avec un cocher de fiacre ; ils étaient hors de la portée du fouet et ne se ménageaient point les injures ; le charretier dit : « Un cocher de fiacre, c’est la lie du peuple, chacun sait ça ! » Le pauvre cocher baissa la tête, fouetta ses chevaux et s’enfuit. Mais s’ils se haïssent et le prennent individuellement de très-haut vis-à-vis les uns des autres, ils se défendent collectivement, font cause commune et espèrent bien arriver ensemble, d’un seul coup. Ils se comparent aux anciens chrétiens ; ils en ignorent l’histoire, mais la légende est venue jusqu’à eux ; les gentils persécuteurs et le monde romain, c’est la société actuelle ; les martyrs, ce sont ceux des leurs qui sont tombés au jour des revendications à main armée : de même que le christianisme s’est substitué au paganisme mort de vieillesse et de diffusion, ils veulent se substituer à l’ordre de choses en vigueur ; les plus sages, ayant dénombré l’immense légion, comptent sur le suffrage universel librement exercé ; les plus ardents, les impatients rêvent une