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Triste monde que celui-là : emphatique, exagéré, discoureur, hypocrite néanmoins et dissimulant de son mieux le fiel qui toujours lui remonte aux lèvres ; le moyen âge l’aurait volontiers cru animé du souffle diabolique et l’eût exorcisé. Il ne serait pas dangereux cependant, s’il n’était la proie des déclassés de la petite bourgeoisie qui souffrent autant que lui de leur propre médiocrité et qui mettent tout en œuvre pour l’exploiter au profit de leurs ambitions personnelles. C’est sur ces malheureux qu’agissent les candidats évincés, les journalistes sans journaux, les avocats sans cause, les hommes d’argent sans crédit, les médecins sans clientèle, et la nuée de ces novateurs qui bouleverseraient le monde pour amener l’expérimentation de leur système, groupe étrange, composé de sectaires, de mystiques, d’illuminés dont les rêves semblent empruntés aux vieux chants sibyllins : « La terre alors sera partagée entre tous ; on ne la divisera pas par des limites, on ne l’enfermera pas dans des murailles ; il n’y aura plus de mendiants ni de riches, de maîtres ni d’esclaves, de petits ni de grands, plus de rois, plus de chefs : tout appartiendra à tous. »

Du double travail de ces deux envies, qui se touchent par tant de points, qui s’excitent par le contact, s’irritent et se complètent, sortira peut-être un jour la plus grande convulsion sociale que jamais l’on ait vue. Dirigés par les envieux de la bourgeoisie, les envieux du prolétariat, entraînant à leur suite et poussant le troupeau de bêtes féroces qui remue dans les bas-fonds, donneront à la civilisation actuelle un assaut formidable. Par ce qu’ils ont déjà fait, on peut deviner ce qu’ils feront. Il ne faut pas croire que l’incendie de Paris a été une œuvre spontanée, barbare, mais inspirée par le désespoir de la défaite ; ç’a été un acte prévu, médité longtemps d’avance et promis, comme une vengeance