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de se défaire de sa charge et tout de suite de sortir de Paris ; savez-vous pourquoi ? Pour avoir trompé au jeu et avoir gagné avec des cartes ajustées. » Ne croirait-on pas que ces lignes ont été inspirées par cette partie de lansquenet jouée chez le duc d’Aumale, à Chantilly, vers la fin du règne de Louis-Philippe et qui eut un si profond retentissement dans la conscience publique ? Que l’on se rappelle ce que Saint-Simon a dit de la princesse d’Harcourt : « Sa hardiesse à voler au jeu était inconcevable et cela publiquement ; on l’y surprenait, elle chantait pouille et empochait ; il n’en était jamais autre chose. »

Il existe cependant entre « le bon vieux temps » et le nôtre une différence essentielle au point de vue du jeu et qu’il est bon de noter, car elle n’est point à notre avantage. Autrefois c’était la noblesse et la finance qui seules, ou à peu près, avaient le sot privilège des jeux excessifs ; aujourd’hui, tout bourgeois qui se sait quelque argent en poche se livre à ce passe-temps aussi médiocre que périlleux. On croit faire acte de manières élégantes en s’assimilant les vices des castes renversées ; les fils de la bourgeoisie, ceux qui, après avoir été les gandins, les petits-crevés, sont aujourd’hui les gommeux[1] au lieu de voir un instrument de travail dans la fortune acquise par leurs pères, n’y ont vu qu’un instrument de plaisir, et ils se sont jetés tête baissée dans toutes sortes de distractions peu avouables, où le jeu tient la plus large place. Sous ce rapport, la démoralisation a gagné en profondeur et en étendue ; elle a pénétré une classe d’individus pour laquelle le droit de

    toutes les lettres dont se compose ce recueil, si curieux et si important pour l’histoire du règne de Louis XVI, insistent sur la rage du jeu et sur les sommes qu’on y expose.

  1. Gandin, du boulevard de Gand ; petits-crevés, des devants de chemise semés de points à jour appelés petits crevés ; gommeux, de la gomme faite avec des pépins de coing à l’aide de laquelle on maintient la frisure des cheveux.