Page:Du Camp - Paris, tome 6.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sent pour une preuve de moralité. Parmi les gens de la bonne compagnie, je ne crois pas que ce soit une Parisienne cette femme charmante et spirituelle qui, par caprice de grande dame et dédain des usages acceptés, se livrait à toutes sortes d’excentricités de surface, inventait des toilettes folles, chantait à dépiter les chanteuses des estaminets-concerts et dansait souvent trop haut ; son nom historique n’a jamais appartenu à l’armorial de la France. Une galanterie a coûté un million ; celui qui l’a payé était de la Grande-Bretagne et celle qui l’a reçu était du pays que Mignon regrettait. Au temps de mon enfance, Paris, surtout aux jours de carnaval, était tenu en émoi par les inexprimables et dispendieuses drôleries d’un personnage très-connu : c’était un Anglais, — et le peuple l’avait surnommé lord l’Arsouille. Des parties de baccarat où l’on engageait des enjeux excessifs ont été sévèrement jugées par l’opinion publique ; les Parisiens cependant n’avaient rien à y voir, car les principaux tenants étaient des Turcs et des Polonais.

Les étrangers adorent, peuplent, enrichissent Paris, où ils trouvent une protection active de la part de l’autorité et des facilités de plaisir qu’ils augmentent eux-mêmes par le haut prix dont ils se font gloire de les payer. Rentrés chez eux, au coin de leur feu de charbon de terre, dans un ennui centuplé par l’acuité des souvenirs, ils disent volontiers : « C’est la ville la plus immorale du monde, » et ne s’aperçoivent pas qu’ils sont au moins de moitié dans la démoralisation qu’ils nous reprochent. On peut répéter encore le mot de J.-J. Rousseau, il est toujours vrai : « La corruption est partout la même ; il n’existe plus ni mœurs, ni vertus en Europe ; mais s’il existe encore quelque amour pour elles, c’est à Paris qu’on doit le chercher. »

Le Parisien n’ignore pas les médisances dont il est