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l’heure de l’ouverture et partent lorsque l’on ferme les portes ; ils sont ordinairement confinés dans un ordre spécial de lecture qu’ils recommencent incessamment. L’un d’eux, bien connu des bibliothécaires et des garçons de service, ne prend que les volumes « où l’on trouve des noms de baptême » ; il copie ceux-ci avec grand soin et les envoie aux missionnaires qui parcourent l’empire du Milieu, afin qu’ils n’aient jamais aucun embarras à nommer les petits Chinois convertis ; d’autres demandent un livre quelconque, l’ouvrent, s’étalent dessus et s’endorment. S’ils ne ronflent pas trop, on les laisse faire, car, après tout, il vaut encore mieux dormir dans une bibliothèque que de se griser au cabaret.

Cette clientèle est assez triste et donne l’idée du désœuvrement bien plus que du désir d’apprendre ; on la sert avec zèle cependant et on lui fournit la maigre pitance intellectuelle qui lui convient. Mais dès qu’un véritable lettré apparaît, un homme qui connaît les livres et qui sait s’en servir, comme les bibliothèques lui font bon visage ! On lui réserve bonne place dans un coin tranquille, on l’aide dans ses recherches, et s’il doit revenir le lendemain, on serre son volume dans un tiroir, afin qu’il l’ait tout de suite en arrivant.

À certaines époques on croirait volontiers que nos bibliothèques sont une succursale des pensionnats de jeunes filles ; l’on y voit des demoiselles trotte-menu, serrant les coudes, baissant les yeux, qui toutes demandent des livres traitant de matières d’enseignement. Cela s’appelle la crise des institutrices ; ça dure quinze jours, au moment des examens de l’Hôtel de Ville ; on a acheté exprès pour elles une quantité prodigieuse de manuels qui leur donnent la besogne toute faite. Le jeudi, les externes des collèges viennent « copier », c’est-à-dire transcrire la traduction de la version qu’ils ont à faire : de cette façon du moins ils en comprendront le sens.