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pétuité et même de concessions temporaires prennent un abonnement » chez un marbrier qui, moyennant une somme fixe, fait « entretenir » la sépulture par un jardinier. Les pauvres gens, — ceux de la tranchée gratuite, — qui ne peuvent se passer un tel luxe, soignent eux-mêmes les quelques pieds de terrain entouré d’une barrière où dorment leurs morts. Ils viennent le dimanche, apportant des fleurs achetées à bas prix, tenant en main un petit arrosoir rempli à la borne fontaine, et ils restent des heures entières à cultiver le jardinet funèbre. Parfois, au pied de la croix de bois, ils mettent des choses étranges : des statuettes de plâtre qui n’ont aucune signification allégorique, de gros coquillages, des fragments de pierres meulières qui figurent un rocher factice ; dirai-je que j’ai vu une pipe enveloppée d’un bouquet d’immortelles ? C’est aux tombes des enfants qu’il faut surtout aller regarder. Là c’est presque du fétichisme. Auprès du héros Scandinave on enterrait son cheval et ses armes, afin qu’il pût faire bonne figure en entrant chez Odin ; dans le sarcophage des jeunes filles grecques on jetait leurs bijoux favoris ; ces vieilles coutumes des peuples encore jeunes ont traversé les âges, les religions, les philosophies, et sont restées parmi nous. À la place où repose la tête du pauvre petit, on a installé une cage vitrée qui se ferme à clef. Dans cette sorte d’armoire, on réunit les joujoux qu’il aimait : des soldats de plomb, des poupées, des bilboquets, un jeu de quilles, des petits souliers comme celui que la Sachette baisait dans le trou aux rats. Sur la tombe d’un enfant de quatorze mois au cimetière du Sud, j’ai aperçu une gravure de modes représentant deux femmes et une fillette jouant avec un perroquet. Sans doute on en amusait l’enfant lorsque la maladie l’accablait dans son berceau. Il est facile de lever les épaules en passant devant ces témoi-