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qui galvanisa un moment la tragédie française, sont venus et ont voulu laisser trace de leur passage ; ils se sont écrits, ils s’écrivent à la porte, comme l’on fait chez les malades. Bien plus, à travers les barreaux de fonte, j’ai aperçu au fond de la crypte un grand nombre de couronnes fraîchement déposées sur une sorte de tablette qui forme autel ; l’une de ces guirlandes, en verroterie noire et blanche, supportait une carte de visite cornée où j’ai lu le nom d’un homme connu dans le commerce parisien ! La croyance à l’immortalité de l’âme se matérialise singulièrement : c’est le corps, la dépouille désagrégée, disparue, qui devient l’objet du culte réel ; déposer sa carte sur un tombeau, la corner pour bien indiquer que le visiteur est venu lui-même et n’a trouvé personne, c’est faire un acte étrange et passablement ridicule.

Il est encore au cimetière de l’Est une tombe qui excite un vif intérêt : c’est celle de la famille Lesurques ; un garde-brigadier, auquel je faisais part de mon étonnement, m’a répondu un mot de haute portée : « C’est à cause du fameux drame le Courrier de Lyon. » Le corps de Lesurques n’a jamais été exhumé de Sainte-Catherine, où il a été porté ; mais le tombeau élevé par sa famille dans ce que l’on nomme le quartier de l’Orangerie lui a été dédié : « À la mémoire de Joseph Lesurques, victime de la plus déplorable des erreurs humaines : 31 octobre 1796 ; sa veuve et ses enfants. » Sur le marbre blanc, bien des noms sont écrits au crayon ; ils furent si nombreux pendant un moment et accompagnés de phrases si étranges, que l’on s’en émut ; on agita la question de savoir si cette sorte d’épitaphe commémorative d’un fait très-douloureux, mais que la justice n’a pas encore reconnu, ne constituait pas une attaque directe à la chose jugée. Un rapport sur ce fait fut demandé à un haut fonctionnaire. Ce rapport, je le copie ;