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Au premier étage, dans une salle où se font les expertises scientifiques sans lesquelles nul médicament n’est accepté, des tiroirs glissant les uns sur les autres et s’élevant du plancher au plafond contiennent les drogues qui doivent être soustraites au contact de l’air ou dont on n’use qu’en petite quantité : seigle ergoté, feuilles de jusquiame, fleurs de genêts sauvages. Le nom des médicaments est écrit sur les boites qui les renferment ; il est curieux de le lire, lorsqu’on se rappelle que l’établissement a été outillé à neuf en 1812 ; on voit alors combien le vieil empirisme cabalistique du moyen âge a été lent à disparaître devant la science expérimentale, et l’on ne peut s’empêcher de sourire à cette nomenclature de substances que n’auraient point désavouées les sorcières de Macheth. Un partisan de l’école de Salerne bondirait de joie en retrouvant là l’indication de ces alexipharmaques si fréquemment employés jadis, le sang de bouquin, les yeux d’écrevisse, la corne de cerf râpée que le phosphate de chaux a remplacée, le corail rouge, la poudre de vipères, les vers de terre et les cloportes. Il n’y a pas bien longtemps qu’on administrait encore cette dernière drogue, à laquelle on prête des vertus diurétiques ; aujourd’hui on l’épargne aux hommes et on ne la donne plus qu’aux chevaux : c’est un progrès[1].

Le laboratoire est en activité constante ; enfoncées dans un immense fourneau de fonte, des bassines en cuivre contiennent des liquides épais, visqueux et bouillonnants qui sont des sirops antiscorbutiques, des sirops de gomme et de salsepareille ; quelques hommes, le front en sueur et la main armée de larges spatules de bois, agitent ces mélanges, qui sont mis en bouteilles

  1. Les Lettres de madame de Sévigné sont pleines de détails sur ces sortes de médicaments ; voir notamment : t. IV, p. 509 ; t. V, p. 47 ; t. VI, 58 ; t. VII, p. 342, 390, 414, 420 et passim. (Ed. Hachette.)