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ter des vêtements de laine, de se nourrir d’une façon substantielle, sous peine de voir ses forces s’étioler ; le goût des liqueurs fermentées qui donnent une vigueur factice, que l’on finit par subir comme une irrésistible passion, font l’existence très-chère pour les pauvres et les réduisent souvent à de cruelles extrémités. L’autre cause est purement morale et ressort de la nature même de l’homme, qui est imprévoyant, à Paris surtout. Il vit au jour le jour, sans aucun souci du lendemain ; parfois il dépense en une seule soirée le gain de toute une semaine ; la plupart du temps il ne sait rien épargner, ni pour ses habillements, ni pour son loyer, ni pour une maladie possible, ni pour un chômage imprévu, ni pour le ménage, ni pour les enfants. Le cabaret l’attire et le retient. La femme, plus âpre à l’économie, le surveille et veut le ramener : c’est peine perdue.

Le lundi qui a suivi les jours de paye, il faut voir les abords de certains marchands de vin. Sur le trottoir les femmes sont rassemblées ; timidement elles essayent de regarder à travers les vitres, elles voudraient bien entrer pour « reprendre leur homme » et tâcher de sauver quelques sous, car le propriétaire se fâche parce qu’on n’a pas payé le terme, et le boulanger ne veut plus faire crédit. Si elles osent franchir le seuil interdit, elles sont accueillies par des injures et souvent par des coups. Aux environs du canal, un cabaretier compatissant a fait construire une espèce de hangar afin que les femmes puissent au moins attendre à l’abri. Il arrive aussi que la femme, fatiguée de voir le mari dépenser son argent avec des camarades, veut sa part de débauche ; Dieu sait alors où l’on en arrive.

À l’imprévoyance, à ce goût brutal des plaisirs grossiers, à l’oubli de tous les devoirs dont l’accomplissement fait seul de l’être humain autre chose qu’une brute, se joint souvent une sorte d’ardeur envieuse pour cer-