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gris. Il y a une grande tolérance pour le costume ; on permet la moustache et même la barbe. Le hasard y a rassemblé quatre ou cinq ménages, on les autorise à manger ensemble ; dans une salle commune, sur le bout d’un banc, ils peuvent s’asseoir et échanger leurs gamelles.

Dans cette tourbe de misérables, il y a plus d’un désespéré. J’ai aperçu là un homme de soixante ans dont je savais l’histoire. Un jour, il avait fait une tragédie en cinq actes et en vers ; elle n’était ni meilleure ni plus mauvaise que beaucoup d’autres. La couleur locale n’était peut-être pas d’une exactitude très-scrupuleuse, car Malek-Adhel disait à Philippe-Auguste :

J’étends sur le carreau le premier qui s’avance ;


mais ce sont là des vétilles auxquelles il ne faut point s’arrêter. L’auteur présenta sa pièce à l’Odéon, où elle fut refusée ; il la fit imprimer, et de là viennent tous ses malheurs. Il en offrit un exemplaire à l’Académie française qui, selon son invariable usage, lui en fit accuser réception par le secrétaire perpétuel. La lettre disait que la pièce serait déposée à la bibliothèque de l’Institut et elle était signée : Villemain. Le pauvre auteur crut et croit encore, de bonne foi, que son œuvre avait paru tellement remarquable qu’on l’avait jugée digne d’être mise dans les « archives » de l’Académie ; il rêvassa d’autres poésies, abandonna tout travail productif, laissa arriver la misère sans trop voir qu’elle venait, puis un matin, pris au dépourvu, serré de prés par la nécessité, il ramassa du pain où il en trouva, au dépôt de Villers-Cotterets. Quand je passai près de lui, il émiettait son pain dans une écuelle où flottaient quelques haricots. « Comment vous trouvez-vous ici ? lui demandai-je. — Bien, me répondit-il. Me voilà rassuré