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nille grise, parmi ces vieillards qui ont connu toutes les geôles et dont la face a toutes les impudeurs, on peut remarquer avec horreur et stupéfaction de jeunes hommes, presque des enfants de dix-huit à vingt ans, qui rougissent jusque dans le blanc des yeux lorsqu’on les regarde fixement, et qui sont choyés par ces vieux pécheurs dont ils sont les compagnons les plus chéris. Rien n’est de plain-pied, rien ne se commande ; partout il faut franchir des degrés, tourner des couloirs, se baisser pour passer sous des linteaux trop bas et marcher avec précaution pour éviter de se heurter contre les étais sans nombre qui soutiennent le plafond. Il y a des ateliers pour des tailleurs, des cordonniers, des cordiers, des fabricants de liens, de chaînettes, de sangles ; les plus vieux parmi ces misérables, ceux que l’âge paralyse à moitié ou qui, depuis qu’ils sont au monde, n’ont jamais eu le temps d’apprendre un métier, sont chargés de trier des chiffons. Lorsqu’ils arrivent, amenés de Paris dans des voitures cellulaires, on les rase, on les baigne, on les bouchonne : ils en ont grand besoin. On les astreint à un travail dont la moitié du produit leur appartient. La discipline de la maison est douce, et il est rare qu’il soit nécessaire de sévir contre les détenus. Dès qu’ils ont gagné une masse suffisante ou qui paraît telle, ils n’ont qu’à demander leur mise en liberté pour l’obtenir. Ils savent si bien ce qui les attend, qu’en prenant congé des gardiens, ils ne leur disent jamais : Adieu ! mais : Au revoir !

Le quartier des hommes est sévèrement séparé de celui des femmes ; on ne saurait y mettre trop de soin, car il est difficile d’imaginer les ruses que ces Philémons et ces Baucis de la besace mettent en œuvre pour se réunir. Et cependant, à voir celles-ci, ridées, cassées, cacochymes, toussant et se traînant à peine, qui pourrait croire que quelque chose de la femme subsiste en-