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sommes relativement importantes : 100, 200 francs, quelque fois plus. Ils demandent à être relaxés. Quoiqu’on sache parfaitement ce qui va se produire, on leur donne la clef des champs, parce qu’il n’y a aucune raison qui permette de retenir sous les verrous un homme propriétaire d’une masse suffisante pour subvenir aux premiers besoins. Trois jours après, l’individu est arrêté en flagrant délit de mendicité ; lorsqu’on fait devant lui le compte de l’argent qu’il possédait, qu’on lui explique que facilement il eût pu vivre pendant un ou deux mois, il répond : « Ah ! voilà, j’ai fait la noce. » Et cent fois de suite il recommencera ; et ils sont tous ainsi. Peut-être est-il plus facile d’agir moralement sur un voleur que sur un mendiant de profession. Il y en a beaucoup à Paris ; pendant le cours de l’année 1869, on en a incarcéré 2 588, parmi lesquels les hommes représentent les deux tiers. La femme est plus résistante, elle sait mieux restreindre ses besoins ; se sentant maladroite et peu leste à la fuite, elle hésite à se mettre dans le cas d’être arrêtée ; elle recule devant la mendicité agressive, familière à l’homme ; elle subit moins l’abrutissement causé par les plaisirs violents, par l’ivresse, et elle garde une sorte d’esprit d’indépendance qui l’éloigne des dépôts de mendicité.

La maison de répression de Saint-Denis, où l’on envoie les mendiants à l’expiration de leur peine, est le plus immonde cloaque qui se puisse voir. Depuis que j’ai entrepris cette série d’autopsies sociales, j’ai été contraint de descendre dans bien des bouges et de visiter bien des sentines ; mais qu’il pût exister à la porte de Paris, dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, sous l’administration directe de l’État, un lieu si particulièrement délabré, pourri et malsain, c’est ce que je n’aurais osé imaginer. Si les vieilles cours des miracles du moyen âge avaient possédé un hôpital, il