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quitté leur pays parce qu’ils y vivaient en mauvais termes avec la justice depuis qu’ils avaient « fait une peau », des curieux qui veulent parcourir le monde, des mécontents de la politique, des philosophes sans préjugés qui dans leur prochain ne voient et ne cherchent que la matière exploitable. Entre des mains pareilles, les enfants ne sont point heureux, et, n’était l’insouciance de leur âge, il y aurait parfois de quoi désespérer.

Les tribunaux ont eu à sévir contre des faits d’une cruauté abominable ; mais le plus souvent les condamnations n’ont pu atteindre les contumaces, qui promptement avaient pris la fuite. En juin 1866, un nommé Pellittieri fut convaincu d’avoir pendant quatre jours et quatre nuits tenu un enfant attaché sous son lit avec une corde de harpe serrée à l’aide d’une clef faisant tourniquet[1]. À y regarder de près, il n’y a guère d’existence plus misérable que celle de ces pauvres êtres. Au point de vue moral, on devine quelle redoutable influence doit exercer l’espèce de vagabondage permanent auquel ils sont condamnés ; lorsque dès l’enfance on apprend à tout devoir à la charité publique, il y a bien des chances pour qu’on ne soit jamais qu’un coquin. À vivre de hasards, sous le soleil et la pluie, à prendre les mœurs des rebuts les plus immondes de notre civilisation, on s’étiole vite et la santé est promptement détruite. Aussi, d’après des calculs sérieux établis par une autorité italienne compétente, on peut affirmer que sur 100 enfants émigrés 20 reviennent au pays, 30 s’établissent à l’étranger et 50 meurent de misère et de privations.

  1. Le rapport italien (13 juin 1866) dit : Il (padrone) quale ebbe l’atroce corraggio di tenerlo légato con una corda d’arpa per quatro giorni et qualro notti sotto il proprio letto ; la corda era stretta con una chiave. Le patron fut condamné à quatre mois de prison par défaut.