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d’hui les neuf dixièmes de ces petits malheureux[1]. C’est une sorte de commerce monstrueux dont ceux qui s’en rendent coupables ne comprennent probablement pas l’immoralité ; les choses se passent régulièrement et le plus souvent par-devant notaire ; c’est la traite des blancs. Un exploiteur parcourt les villages, recueille les enfants qu’on veut bien lui remettre et les prend à bail, ordinairement pour trois ans. Tout ce que ces enfants gagneront, n’importe où, pendant ce laps de temps, lui appartient, et en échange il donne à la famille une somme définitive ou une somme annuelle. On signe des actes en forme, stipulant dédit en cas de non-exécution des clauses du traité.

J’ai eu plusieurs de ces contrats sous les yeux. Il est impossible d’y mettre plus de naïveté et de bonne foi. Un père loue son fils comme il louerait un champ. L’enfant est un capital dont le produit appartient légitimement au père. C’est là le principe ; il est fort simple, comme on voit. Très-immoral chez nous et absolument contraire à nos usages, il n’a rien qui choque les populations de la Basilicate, pour lesquelles il devient une ressource parfois fructueuse. Les exploiteurs se croient si bien dans leur droit, que souvent à l’étranger, et notamment à Paris, ils ont eu recours à leurs consuls pour essayer de faire respecter la lettre des sous-seings par les exploités lorsque ceux-ci s’y montraient récalcitrants. Cette industrie a ses commis voyageurs, ses recruteurs, ses placiers. Les uns vont chercher les enfants, et les amènent à Paris entre les mains d’un patron qui les attend et les paye tant par tête ; d’autres préviennent les intéressés que dans tel village se trouve un enfant bon musicien et de physionomie agréable ; d’autres enfin, et ce ne sont pas les moins dangereux,

  1. La majeure partie de ces pauvres virtuoses vient de Marsicovetere, Corleto, Laurenzano, Calvello, Pizzinisco, Viggiano.