Page:Du Camp - Paris, tome 4.djvu/390

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où l’accès l’a saisi et ne conserve aucun souvenir de ce qu’il a pu faire pendant que son corps seul était sur terre et que son âme voyageait dans les espaces ouverts à la folie. Son état mental, reconnu après sa condamnation, lui a du moins valu d’être enfermé à la sûreté et lui a épargné les galères.

Lorsque l’on essaya d’établir en France l’isolement cellulaire dans les prisons, il ne manqua pas de gens qui, ne sachant pas le premier mot de la question et ne se doutant pas que le système en commun est une école où le crime est publiquement professé, déclarèrent que tous les détenus allaient immédiatement devenir fous. Une commission, choisie parmi les aliénistes les plus savants et qui comptait dans son sein des hommes tels que Ferrus, Lélut, Parchappe, fut chargée d’étudier l’état mental des condamnés enfermés dans les maisons centrales. Le résultat de cette enquête, publié en 1844, donna sur l’insanité des criminels des notions qu’on ne soupçonnait guère. À cette époque, la proportion des aliénés, par rapport à la population totale de la France, était de 1 sur 1 000 ; dans les prisons, la proportion fut de 20 sur 1 000. Le système cellulaire n’y était pour rien, puisque les maisons centrales vivaient sous le régime libre.

Il est bien difficile, en effet, lorsqu’on a, sans parti pris d’avance, étudié de près les malfaiteurs, les prostituées et les fous, de ne pas reconnaître que, bien souvent, la folie se recrute dans le crime, comme le crime se recrute dans la folie[1] ; de cette étude, on garde une commisération inexprimable pour ces êtres coupables ou malades, qui seront toujours un danger public, parce que leur cerveau sans équilibre n’a pu comprendre le mécanisme et les nécessités de la société où le hasard

  1. Sur les 2 248 présumés qui ont été examinés à infirmerie spéciale en 1872, 625 (418 hommes, 207 femmes) étaient prévenus ou condamnés ; cette proportion est énorme ; elle dépasse le quart.