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y a des lumières, des fleurs, quelques draperies. Toutes les spectatrices, assises sur des chaises, sont immobiles et silencieuses : l’hébétement des visages est à peu près général. On voit là de pauvres fillettes épileptiques déjà gagnées par l’embonpoint, et qui, malgré leur jeunesse, ressemblent à de grosses vieilles femmes dont la peau serait tendue sur une chair malsaine et trop gonflée. Parfois on entend au fond de la salle une plainte traînante, mélopée douce et tremblée ; c’est une malade qui tombe. Dans ses différents tours, qui n’étaient point bien compliqués, l’homme, voulant faire entrer un serin dans une coquille d’œuf, fit mine de lui écraser la tête entre ses dents ; il y eut un murmure et comme un sentiment unanime d’horreur : l’humanité dans ce qu’elle a de plus beau, la pitié, subsiste donc encore !

Une autre fois j’ai assisté à un bal costumé donné aux folles ; on leur avait ouvert le magasin aux vêtements, et elles s’étaient attifées selon leur goût, en marquise, en laitière ou en pierrette. Généralement la folie des femmes est bien plus intéressante que celle des hommes : l’homme est presque toujours farouche, fermé, obtus, il raisonne même dans le déraisonnement ; la femme, qui est un être d’expansion universelle, exagère son rôle, parle, gesticule, raconte et initie, du premier coup, à tous les mystères de son aberration. Je me rappelle ce soir-là une vieille bossue vêtue en folie : elle allait et venait, manifestement nymphomane, tournant autour de deux ou trois hommes qui étaient là, et tendant ses bras maigres vers eux avec une expression désespérée. Tout se passa bien du reste. Le piano était tapoté en mesure par une malade ; les filles de service et les aliénées dansaient ensemble et obéissaient ponctuellement à une folle qu’on avait coiffée d’un chapeau à plumes en signe d’autorité. Fière de ses fonctions et de son marabout blanc, elle mettait l’ordre partout où il