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tinguer lui-même. Bien des fous ressemblent à des gens mal réveillés qui vivraient sous l’empire d’un cauchemar persistant : dans le rêve comme dans la folie, on ne guide pas sa pensée, on est guidé par elle ; de plus, comme dans le rêve aussi, toute idée intermédiaire disparaît : on ne voit que le but poursuivi. Le fou, entre la conception et la réalisation de son désir, n’admet, ne suppose aucun obstacle ; le relatif s’efface, on peut dire qu’il ne comprend que l’absolu. Une mélancolique vous dit : Rendez-moi, je vous prie, un service ; prenez un bon couteau, et coupez-moi le cou ! — On se récrie, on parle de responsabilité, de justice, d’échafaud. — Elle reprend : Ne dites donc pas de niaiseries ; prenez vite le couteau, rien n’est plus simple ; dépêchez-vous, je n’ai pas le temps d’attendre.

Comme dans le rêve encore, les sensations extérieures font germer des idées connexes. Un homme se découvre la nuit en dormant, il a froid, il rêve qu’il est en Sibérie. De même pour l’aliéné : une hystérique a des constrictions à la gorge et soutient qu’elle a avalé une pomme qui « ne peut pas passer » ; un maniaque sent distinctement un crapaud qui lui ronge l’estomac ; il meurt ; à l’autopsie, on découvre qu’il a un squirre voisin du pylore ; les femmes qui rejettent invariablement leurs vêtements et veulent absolument rester nues (Théroigne de Méricourt, morte en 1817, était ainsi) sont de pauvres créatures qui ont la peau animée d’hyperesthésie (excès de sensibilité) et qui ne peuvent supporter le frôlement le plus léger. La perversion des sensations est telle, qu’un malade s’essuie le visage pour étancher les gouttes de sueur qu’il sent, qui le chatouillent en coulant et qui cependant n’existent pas. On ne peut pas dire, suivant la formule vulgaire, qu’elles n’existent que dans son imagination, car il en a l’impression physique, très-nette, palpable, positive,