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dans lequel tombent fréquemment les malades est pour quelques-uns d’entre eux une période d’incubation, d’éducation interne dont ils sortent avec des dons intellectuels qu’on ne leur connaissait pas dans leur vie normale. C’est ce qui a fait dire que les fous se mettaient inopinément à parler des langues qu’ils ignoraient ; ceci est impossible, mais il est constant que la mémoire, surexcitée tout à coup sous l’action d’un afflux nerveux, peut rappeler d’une façon qui paraît miraculeuse une langue que l’on a entendue jadis et qu’en état de santé l’on ne sait réellement pas.

J’ai vu à Vaucluse un Russe qui y était interné depuis onze mois ; il ne put pas dire deux mots de français lorsqu’on l’amena, et il se contentait de démontrer par signes qu’il ne comprenait rien de ce qu’on lui disait. Il fut saisi de dépression et resta huit mois sans ouvrir la bouche ; quand il se réveilla de sa torpeur, il savait le français, non pas comme la Bruyère ni comme Montesquieu, mais assez pour expliquer très-nettement son état mental, pour raconter son histoire, pour expliquer qu’il avait été tailleur dans son pays et pour demander de l’ouvrage. Pendant cette sorte de sommeil extérieur, les vocables qu’il entendait se sont groupés dans sa mémoire avec leur valeur spéciale, les corrélations qui existent entre eux, et, étant fou, un travail s’était fait en lui, à son insu, dont il recueillit le bénéfice sans en avoir eu la peine.

La stupeur est si profonde parfois chez les malades, leurs organes sont frappés d’une paresse tellement invincible, qu’ils se croient morts ; ils n’ouvrent ni les yeux ni la bouche et refusent de manger. Le docteur Billod a imaginé une bouche artificielle fort ingénieuse qu’on place de force entre les lèvres de l’absorbé et qui permet de lui taire avaler quelques aliments ; mais, si l’on tombe sur un malade dont les mâchoires sont