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se feront une contusion. La violence, la brutalité de mouvements que certains malades développent pendant leurs crises défient toute croyance. J’ai vu une lypémaniaque obèse et déjà vieille parcourir vingt fois de suite le tour d’une vaste salle en faisant la culbute sur elle-même, comme le clown le plus agile, sous l’impulsion d’une attaque de névralgie intercostale.

Les malades qui en sont réduits à cet état d’excitation extravagante souffrent au delà de ce qu’il est possible d’imaginer. Lorsqu’on parvient à les calmer et qu’on les interroge, on reste profondément ému. « Vous souffrez ? — Le martyre ! — Où souffrez-vous ? — Je ne sais pas ! — À la tête, aux membres, à la poitrine, au cœur ? — Non, je souffre partout et ma souffrance n’est nulle part. » Ceci est exact, cette souffrance a cela de terrible et de vraiment démoniaque qu’elle est insaisissable, indéfinissable, intangible, qu’elle trouble assez la raison pour la bouleverser et qu’elle lui laisse assez de lucidité pour comprendre l’horreur du désastre. Tous ceux qui l’ont subie et qui en sont sortis par la guérison disent la même parole : « J’ai traversé l’enfer ! » Un jour j’interrogeais une mélancolique qui venait de tomber en stupeur après une période d’agitation, et je lui disais, pour tâcher de l’arracher un peu à elle-même : « Où êtes-vous ? » Elle me répondit : « Dans le Styx ! »

Si ces infortunés ne peuvent exprimer la nature toute spéciale de leurs souffrances, ils ont du moins certains gestes fréquemment renouvelés dans les bras, dans les épaules, dans la mâchoire inférieure, gestes que leur volonté est impuissante à refréner, qu’il faut étudier et dont il serait bon de tenir compte, car ils déterminent peut-être quels sont les nerfs qui sont en crise d’excitation ou d’affaiblissement. Je me souviens d’avoir vu, dans le préau où les agités d’une maison de santé étaient enfermés, une muraille que j’ai regardée pendant long-