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au delirium, tremens ; nous en avons la preuve dans les ruines entassées par l’accès de pétrolomanie alcoolique dont Paris, qui semble déjà l’avoir oublié, ne se relèvera pas de sitôt. Plus d’une des brutes qui ont ordonné d’incendier notre ville avait passé par les établissements d’aliénés ; et y retournera ; plus d’un des malheureux qui leur ont obéi y est actuellement.

Ce n’est point leur faute si l’infirmerie spéciale nouvellement ouverte n’a pas été dévorée par les flammes : ils ont fait ce qu’ils ont pu pour la détruire ; les pierres de taille ont résisté et les aliénés malades trouvent du moins un lieu tranquille où ils peuvent attendre l’heure d’être envoyés à l’asile qui les attend. Ici on ne les nomme ni des fous, ni des aliénés ; tant que le médecin ne s’est pas prononcé sur leur état, on les appelle des présumés : présumés atteints d’aliénation mentale. Il en vient beaucoup : deux cent un dans le seul mois de mai 1872, c’est-à-dire six et demi par jour ; sur ce nombre, deux seulement ont été reconnus sains d’esprit ; c’étaient fort probablement deux ivrognes qu’une nuit de calme avait momentanément rappelés à la raison. On peut supposer qu’ils sont revenus dans le mois de juin. Chaque jour un des deux médecins spécialistes commissionnés par la préfecture de police se rend à l’infirmerie, il prend connaissance des dossiers envoyés par le commissaire et reçoit les malades isolément, l’un après l’autre. J’ai assisté à cette visite, et il ne fallait pas une grande perspicacité pour deviner l’état mental des pauvres êtres qui ont défilé devant moi ; mais il n’en est pas toujours ainsi et souvent la science tâtonne longtemps pour arracher à l’âme le secret de sa perturbation[1]. Le certificat médical est immédiatement rédigé et

  1. Très-souvent des aliénés sont amenés, à la porte de l’infirmerie, en fiacre par leurs parents ou par des agents, qui ont choisi l’heure de la visite du médecin, pour éviter au malade le séjour dans les cellules d’attente.