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pluie, près d’un théâtre au moment où la représentation allait finir, retenait toutes les voitures disponibles afin de se donner le plaisir de faire mouiller les spectateurs. La place d’un pareil lunatic était aux petites-maisons ; là du moins il eût évité les avanies dont les gamins l’ont trop souvent rendu victime. Si l’on cherchait bien aujourd’hui, on trouverait facilement des excentricités publiques analogues à celles-ci et qui résultent d’un défaut de pondération dans les facultés mentales.

Sans entrer dans des détails qui appartiendraient à un travail exclusivement scientifique, sans parler non plus de cette vie à outrance de Paris, qui débilite le système nerveux en le surexcitant, on peut constater une cause qui s’accentue chaque jour davantage et qui produit des perturbations mentales passagères d’abord et d’une violence excessive, puis chroniques et enfin permanentes. Cette cause redoutable, qu’il faudrait combattre par tous les moyens possibles, c’est l’alcoolisme, dont le docteur Jolly entretenait déjà l’Académie de médecine en 1866[1]. Le péril signalé s’est aggravé et décuplé par les circonstances douloureusement exceptionnelles que Paris a traversées en 1870 et en 1871 ; il constitue aujourd’hui une sorte de péril social pour lequel on ne saurait trop se hâter de chercher le remède. La période d’investissement et celle de la Commune ont eu à cet égard une influence désastreuse sur la population ouvrière ; pendant le siège, quand celle-ci demandait à se battre, on lui donnait à boire, et sous la Commune on lui donnait à boire pour qu’elle allât se battre. À ces deux époques, dans l’espace de neuf mois, Paris a absorbé, en vins et en alcools, cinq fois l’équivalent d’une consommation annuelle. On arrive promptement ainsi

  1. Bautru disait, de son temps, que les marchands de vin vendaient « la folie en bouteille » ; ce mot, qui n’était qu’une boutade, serait d’une douloureuse exactitude si on l’appliquait aujourd’hui aux débitants d’absinthe.