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dent, se déchirent, se frappent, s’arrachent les cheveux, ne ressentent aucune douleur ; elles sont, en cela, semblables aux chiens enragés qui peuvent mordre une barre de fer rouge sans donner le plus léger signe de souffrance ; j’ai moi-même enfoncé de fortes épingles dans le bras des malades sans réussir à attirer leur attention[1]. Il n’y a pas de jour où des faits analogues ne se produisent dans les asiles d’aliénés. Le sceau du diable qui faisait triompher les exorcistes, qui leur faisait dire : « Satan est là ! » était une preuve de plus, une preuve irrécusable que tous ces pauvres êtres si cruellement torturés au nom d’une foi qui se trompait à force de vouloir rester orthodoxe, auraient dû être mis à l’hôpital, couchés dans de bons lits, baignés souvent, saturés d’opium et distraits de leurs pensées morbides par tous les moyens possibles.

On pourra s’étonner de ces épidémies mentales qui sévissaient jadis et dont maintenant on croit qu’il ne reste plus trace[2]. Toute maladie non soignée ou surexcitée par les moyens que l’on emploie à la combattre tend toujours à se répandre et à se généraliser. Si aujourd’hui la ville de Paris lâchait les sept mille aliénés qu’elle traite et nourrit dans ses asiles spéciaux, il est

  1. Un aliéné, à l’aide d’un morceau de verre, se coupe la peau du front et se fait au ventre une incision oblique de 15 centimètres de longueur ; il affirme n’avoir ressenti aucune douleur. Un autre saisit une poignée de charbons ardents, et il faut lui ouvrir la main de force ; un troisième introduit sa tête dans un poêle allumé et se la brûle horriblement. On lui fait remarquer qu’il n’a même pas crié, il répond : « Pourquoi aurais-je crié ? je ne souffrais pas. » (Moreau, de Tours, la Psychologie morbide, 406 et passim.
  2. Ces épidémies sont très-réelles et ont apparu de siècle en siècle avec une sorte de périodicité. La forme en a varié depuis le féroce jusqu’au simple absurde, mais n’en indiquait pas moins une maladie des organes de l’entendement : au seizième siècle, l’hystéro-démonopathie ; au dix-septième, la possession des nonnains ; au dix-huitième, les convulsionnaires de Saint-Médard, le vampirisme de Pologne et de Hongrie ; au dix-neuvième, les tables tournantes et l’évocation des morts.