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mer ; pour peu que le malade soit enclin à la théomanie, ce qui est fréquent, pour peu qu’il croie au diable, ce n’est plus l’immonde reptile qui s’avance, c’est le souple tentateur, celui qui s’enroula autour de l’arbre de la science, qui offrit la pomme fatale ; c’est le génie même de la révolte et de la perdition, celui à qui rien n’a résisté, l’ennemi de Dieu, le plus fort, l’invincible auquel il faut obéir au prix de la damnation éternelle. Chaque jour dans nos asiles, dans nos maisons de santé, les médecins sont témoins de phénomènes semblables, et j’ai vu plus d’une mélancolique agitée, ne pouvant expliquer les deux volontés adverses qui se heurtaient en elle, s’écrier qu’elle était la proie du démon et demander un prêtre, afin d’être exorcisée. Pour les convaincre à jamais de la réalité de leurs fausses sensations, pour généraliser leur délire partiel, pour rendre celui-ci incurable, il suffirait de les environner d’un appareil religieux spécialement préparé pour elles ; car chez ces pauvres malades battues par des tempêtes nerveuses dont on ne soupçonne pas la violence, on évoque les démons lorsque l’on tente de les chasser. Si l’on faisait faire un seul exorcisme dans la cour des agitées de Sainte-Anne ou de la Salpêtrière, toutes les folles qui en auraient été témoins seraient possédées le lendemain.

Des divers genres de folie, la démonomanie est celui qui se provoque et se propage le plus facilement par l’exemple. Un fait contemporain le prouve. Le village de Morzines, en Savoie, a offert, depuis 1857 jusqu’à 1862, tous les phénomènes de la possession ; rien n’y a manqué que le bûcher. Le mal s’est étendu par sympathie, s’est exaspéré sous l’influence des exorcismes, puis a subi une période de rémittence notable dès qu’on a pu isoler les malades et lorsque la gendarmerie est intervenue pour maintenir l’ordre dans l’église, où l’exercice du culte était rendu presque impossible par