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en deux les démons qui oseraient s’approcher de lui ; c’étaient de purs esprits cependant : qu’importe ? on espérait les effrayer, peut-être les anéantir. Encore quelque temps, et l’on ira plus loin dans l’absurde ; on les citera à comparaître en personne devant les tribunaux ecclésiastiques ou à donner pouvoir. Singulière et douloureuse époque ! les possédés et les exorcistes étaient aussi fous les uns que les autres, car ils étaient tous de bonne foi[1].

Les idées philosophiques ou plutôt religieuses qui dominaient alors aidaient singulièrement à ces conceptions délirantes et leur donnaient un point d’appui. L’homme était double : d’un côté, la chair, matière terrestre, apte aux péchés qui s’y acharnent, destinée aux vers qui l’attendent à l’heure de son inéluctable dissolution ; de l’autre, l’âme, émanation directe de la Divinité, pur esprit qui peut et ne doit traverser cette vallée

  1. La croyance à Satan n’était pas aussi abstraite qu’on pourrait le supposer, et l’on avait des machines ingénieuses qui faisaient apparaître le diable. Le musée de Cluny garde et a raison de ne pas montrer au public un « objet de curiosité » très-effrayant. C’est un meuble du seizième siècle, en forme de buffet ; il vient d’un couvent de femmes, et les armes d’Urbino — le dextrochère et la fleur de lis — sont sculptées au couronnement. Un panneau, sur lequel est peint le Christ ceint d’épines, s’abat subitement et l’on voit apparaître un diable de grandeur naturelle, horrible, crépu, cornu, roulant des yeux furieux, tirant une langue énorme rouge de sang, faisant mine de se jeter sur le spectateur, lui crachant au visage et poussant des hurlements formidables. C’est l’effet d’un simple contre-poids qui agit simultanément sur le fantoche qu’il met en mouvement, sur un soufflet se dégorgeant dans une trompe de cuivre et sur une cavité molle remplie d’une eau qu’il fait jaillir par la bouche. Le diable, noir, nu, enchaîné, est une statue en bois peint et articulée ; les yeux et la langue sont mus par un appareil analogue à celui dont les Chinois se servent pour faire balancer la tête des poussahs. C’est bien le démon tel qu’on l’a décrit, tel qu’on doit se le figurer ; de la main droite il fait le geste usité en Italie contre la jettatura ; la main gauche a une pose dont la signification est obscène. L’impression produite devait être redoutable et très-vive. — Les crucifix agitant la tête, les yeux et la langue ne sont pas rares dans les collections d’amateurs ; le musée de Cluny en possède un du onzième siècle. Les tableaux représentant des christs qui suent et des madones qui pleurent sont très-communs dans les églises d’Italie ; c’est un tour de passe-passe que chacun peut exécuter avec un réchaud et de la cire vierge.