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lontiers ; du bout de leur bâton, ils dessinent des lignes sur le sable et s’animent en parlant. Si on les écoute, on les entend dire : « Le maréchal passa au galop, son chapeau tout de travers ; il se tourna vers nous en criant comme un possédé ; » ou bien : « À peine avons nous le temps de nous former en carré, voilà ces diables de dragons qui reviennent. » Ces vieux braves se racontent, sans se lasser jamais, leur dernière bataille. Laquelle ? Waterloo.

Parmi les vieillards admis en hospitalité à Bicêtre, les plus nombreux sont les septuagénaires, 328 ; de soixante-quinze à quatre-vingts ans, le chiffre diminue déjà, 209 ; de quatre-vingts à quatre-vingt-cinq, il s’affaiblit encore dans une proportion notable, 133 ; de quatre-vingt-cinq à quatre-vingt-dix, on n’en compte plus que 26 ; de quatre-vingt-dix à quatre-vingt-quinze, il n’en reste que 6, témoins encore vivants de la Révolution ; au delà de quatre-vingt-quinze ans, il n’y en a plus : le néant de la chair a déjà commencé.

Les années, les infirmités, qui pèsent double sur des hommes d’un si grand âge, ne leur ont point laissé une mansuétude extrême dans le caractère ; dans tout hospice de la vieillesse, les sentiments qui dominent sont la haine, l’envie, la malfaisance. Entre eux, ces béquillards se disputent, s’injurient ; ils se provoquent, se cachent des gardiens pour « vider leurs querelles », ont des combats, où les insultes d’ailleurs tiennent plus de place que les horions, car dans leurs mains le bâton qu’ils brandissent ressemble au telum imbelle de Priam. Ce troupeau de vieillards est fort malaisé à conduire : ils ne se révoltent plus comme autrefois, mais ils font une opposition systématique à chaque article du règlement. D’avance ils trouvent tout absurde, même le gouvernement qui les fait vivre.

On ne doit pas en être surpris. L’ingratitude est le