Page:Du Camp - Paris, tome 4.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à plaindre, et, pour ce qui les attendait dans la vie, ils ont bien fait de s’arrêter sur le seuil et de ne point aller plus avant. Tout donne une impression triste dans cette maison, tout, jusqu’à la grande chapelle où chaque matin l’on baptise les enfants apportés la veille. Les inconnus, ceux qu’on a ramassés au coin des bornes ou sous le bénitier des églises, ne porteront que deux noms de baptême, dont l’un forcément leur servira de nom patronymique.

Dans une grande salle, nous avons assisté au goûter des petites filles ; on leur distribuait de belles tartines de pain tendre amplement revêtues de marmelade de prunes, dont elles se barbouillaient gravement. Chez ces enfants, le geste est le plus souvent brusque, cassé, à angles droits, presque animal. J’ai longtemps regardé une aveugle de six à sept ans qui léchait ses doigts imprégnés de confitures, avec les mouvements lents et réguliers d’un chat qui se lèche les babines après avoir bu du lait. Avec elles, les sœurs et les filles de service ont une patience à toute épreuve ; mais le type le plus intéressant de la maison est un surveillant qui a charge des garçons et qui se nomme Stanislas Dezairs. C’est un homme d’une cinquantaine d’années environ, de bonne tenue un peu militaire, très-propre et soigné dans son uniforme, beau parleur et poussant la politesse jusqu’au raffinement. Il mène sa petite bande par des procédés tout particuliers, et il faut convenir qu’ils lui réussissent admirablement.

Les enfants amenés en dépôt à l’hospice appartiennent généralement à la catégorie où Auguste Barbier a rencontré son « pâle voyou ». Ils ne pêchent pas précisément par l’excès des belles manières, ils ont vécu prés du ruisseau, ils sont impudents, insolents et malpropres ; entre eux, ils s’appellent volontiers « Pif-en-l’air » ou « Tape-à-l’œil ». Le surveillant ne tolère point