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placement où nous avons encore vu le Bureau central.

Ce qui se passait là n’est pas croyable. Comme les ressources dont l’établissement disposait étaient fort limitées, les places y étaient tirées au sort, et les enfants que la fortune n’avait point favorisés étaient rejetés sur le pavé aux hasards de la faim, du froid et de la mort. De plus, on y tenait littéralement magasin d’enfants, et l’on en faisait trafic. La marchandise humaine ne coûtait pas cher, un enfant se vendait vingt sous ; c’était un prix fixe. À qui vendait-on ces pauvres êtres ? À des nourrices qui, ayant laissé mourir leur nourrisson, voulaient le remplacer, — à des mendiants qui cherchaient un jeune acolyte pour émouvoir les cœurs charitables, — à des bateleurs qui, choisissant les plus énergiques et les plus forts dans cette mièvre population, leur disloquaient les membres pour en faire des acrobates, — à des faiseurs de sortilèges, — enfin à des chercheurs de la poudre de projection et de l’élixir de longue vie, qui à leurs drogues ténébreuses aimaient à mêler le sang des enfants encore purs. Cela dura longtemps, jusqu’au jour où Vincent de Paul, voyant un misérable déformer un enfant afin d’en faire un objet de compassion propre à attirer les aumônes[1], conçut l’idée de la grande institution hos-

  1. Je crois bien, sans pouvoir ni oser l’affirmer, que de telles monstruosités ne se produisent plus chez nous ; mais en Angleterre elles paraissent être encore en usage dans une partie de la population, qu’on ne sait comment qualifier ; voici ce que l’on peut lire dans le Moniteur universel, à la date du 14 juin 1872 : « La police vient de découvrir à Londres, dans une vieille maison d’Highbury, située au fond d’une ruelle sombre, une fabrique d’estropiés. Ne riez pas, car la chose n’est pas drôle, tant s’en faut. On prenait là dedans des enfants en bas âge, et on leur contournait les pieds, on leur déformait la figure, on leur aplatissait le crâne, on leur repliait les membres de façon à les faire paraître manchots, le tout sur la demande de leurs parents, qui s’en servaient ensuite pour exciter la charité des passants. Pour déformer une jambe, cela coûtait, à forfait, trente shillings, nourriture comprise, si l’enfant avait moins d’un an, c’était deux livres sterling. Pour faire un manchot ou une « tête de côté », quatre livres, etc. Il y avait un tarif. On donnait