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quarante et cinquante francs de pourboire par mois.

Leur grand défaut, c’est l’ivrognerie ; on ne sait comment s’y prendre pour mettre le vin hors de leur atteinte ; à l’Hôtel-Dieu, à La Riboisière, les brocs qui font la navette du cellier aux salles sont munis d’un cadenas dont le sommelier et la religieuse ont seuls la clef ; précaution inutile : ils savent dans les récipients les mieux clos introduire quelque paille, parfois une sonde qu’ils ont dérobée au chirurgien, et la ration arrive toujours réduite à destination. Ils boivent le vin de quinquina ; dans les services d’accouchement, les infirmières volent le rhum dont on se sert pour ranimer les enfants à demi éteints. Bien plus, les chirurgiens qui font des préparations anatomiques sont obligés de les enfermer à double serrure, parce que les infirmiers ont l’épouvantable courage de boire l’alcool où ces détritus humains ont macéré. Du reste, plus j’étudie ce monde de l’ignorance et de la misère, plus j’acquiers cette conviction que les habitudes d’ivresse sont quatre-vingts fois sur cent la cause des maux qu’il faut secourir.

C’est un métier peu recherché que celui d’infirmier ; la plupart de ceux qui l’exercent ne le font que momentanément, et tâchent d’y échapper le plus tôt possible. Ceux qui s’en sont fait une ressource définitive et qui parfois, s’attachant aux malades, deviennent de bons serviteurs, sont faciles à reconnaître ; ils sont hideux. Cela est frappant, surtout à Saint-Louis ; les malheureux qui par suite d’une maladie ont été défigurés et n’offrent plus aux regards que des faces de monstre, sont restés là comme infirmiers, car ils ont compris qu’ils ne trouveraient point de place ailleurs, et que partout on les chasserait comme des objets de dégoût. Par une anomalie moins étrange peut-être en France qu’en d’autres pays, ce personnel généralement vicieux, sans scrupule, grossier et de mauvais instincts, a un sentiment très-