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Il fallut la Révolution et certaines mesures justifiées par les circonstances pour que l’Hôtel-Dieu[1] cessât d’être un charnier qui faisait dire à Cuvier que « les souffrances de l’enfer devaient surpasser à peine celles des malheureux serrés les uns contre les autres, étouffés, brûlants, ne pouvant remuer ni respirer, sentant quelquefois un ou deux morts entre eux pendant des heures entières. » Fleuriot, maire de Paris, et l’agent national Payan avaient réuni le palais de l’Archevêché à l’hôpital, afin que chaque malade fût au moins certain d’être placé dans un lit séparé ; aussi Mercier, dans son Nouveau Paris, s’écria-t-il qu’il n’apprenait pas « sans la plus douce émotion » qu’il y avait à l’Hôtel-Dieu 250 lits vides. Pour qui connaît Paris, on comprend vite que ce chiffre est singulièrement exagéré, mais il constate du moins que l’entassement impitoyable d’autrefois avait pris fin, et qu’un grand progrès venait de s’accomplir. Du reste, il est facile de reconnaître combien, au siècle dernier, la thérapeutique était peu avancée, et comme, en cas d’épidémie, on perdait rapidement la tête. Pour un peu, on serait retourné aux exorcismes, et le grand remède employé était encore les processions, les promenades de châsses et les cérémonies qui, si elles n’ont rien à faire avec l’hygiène, ont du moins pour elles d’être inoffensives.

On le vit bien en 1720, pendant cette fameuse peste de Marseille qui donna à M. de Belsunce une immortalité dont les causes paraissent discutables. Le ravage fut effroyable et fort augmenté par des troupes de voleurs qui s’abattirent, comme des oiseaux de proie, sur

  1. Pendant la Révolution, l’Hôtel-Dieu s’appelle le grand hospice Humanité ; c’est du moins le titre administratif qu’on lui donne. Mais le peuple de Paris ne se laisse pas prendre à ces désignations nouvelles, empreintes d’un esprit philosophique abstrait qui jamais n’a pénétré les masses ; la tradition persiste et la vieille maison fut toujours appelée l’Hôtel-Dieu, même aux jours les plus intolérants de la Terreur.